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À Lesbos, l’odyssée sans fin des réfugiés
Article mis en ligne le 13 juin 2015

Le nombre de migrants fuyant le chaos explose en Grèce. Sur l’île de Lesbos, les habitants tentent de leur porter secours avec les moyens du bord.

A seulement 6 kilomètres, les côtes turques se dessinent sous les premiers rayons du soleil. Eric attend. Les migrants vont arriver.

La veille, ils étaient quarante. Entassés dans un zodiac prévu pour douze — les femmes et les enfants au milieu, les hommes autour pour les protéger. Comme à chaque fois, Eric est allé chercher de l’eau, des croissants, des vêtements secs pour les bébés. « C’est normal, dit-il, ça pourrait être vous, ça pourrait être moi. » Quelques heures plus tard, il ne reste plus aucune trace de cette arrivée clandestine. Les gens du coin ont tout nettoyé. Mais il suffit de continuer dix minutes sur la route de la colline, en direction de criques moins accessibles, pour trouver les indices d’autres passages : gilets de sauvetage par dizaines, sweat-shirts mouillés, canots déchirés... Entre la Turquie et l’île de Lesbos, la traversée n’est pas longue mais hors de prix — jusqu’à 2 000 euros par personne à payer, côté turc, aux passeurs. Il arrive que les embarcations chavirent. Il y a deux ans, une dizaine de clandestins sont morts un peu plus au sud. « J’ai interpellé tous les médias sur le drame qui se joue ici, explique Eric. Personne n’est venu. » Alors, seul, il a décidé de filmer ces plages souillées, d’expliquer d’une voix tendue la situation, et de poster les vidéos sur YouTube. C’est ainsi que nous l’avons trouvé. (...)

Poussés par la guerre en Syrie, le chaos en Irak, l’instabilité en Afghanistan, ils débarquent, paniqués. Entre janvier et mai, la Grèce en aurait accueilli plus de quarante-trois mille. Presque autant que toute l’année dernière.

Sur le port principal de Mytilène, la situation devient préoccupante. A deux pas des restaurants branchés qui continuent d’attirer la jeunesse du coin, une bonne centaine de migrants « campent » à l’arrache, entre les voitures. Des hommes, des femmes, des enfants, aux traits fatigués par un périple interminable. (...)

« Ils s’entassaient là en plein cagnard, dit-elle en désignant le quai à quelques mètres de sa terrasse. Je ne pouvais pas rester sans rien faire. »

La restauratrice a commencé à leur distribuer de la nourriture. Puis elle a loué un champ, juste derrière. Avec son mari, ses enfants et quelques amis du coin, ils ont débroussaillé le terrain, récolté des couvertures, tendu des bâches pour faire un peu d’ombre. Melinda a aussi installé un petit réseau électrique directement raccordé à son restaurant, et bataillé pour obtenir de la mairie qu’elle ouvre les toilettes du port. Au gré des arrivées, son camp de fortune peut accueillir dix, quarante, cent cinquante personnes, qui attendent là que le centre d’enregistrement de Moria puisse les accueillir. « Qu’est-ce qu’ils deviendraient si je n’étais pas là ? » se demande-t-elle, les yeux rougis par la fatigue. Melinda n’est pas loin de craquer. Les autres restaurateurs du port voient d’un mauvais oeil son camp improvisé, et l’accusent d’attirer de plus en plus de migrants. De folles rumeurs l’ont aussi accusée de détourner le fruit des collectes qu’elle organise un peu partout. Pour l’instant, malgré deux agressions racistes enregistrées à Mytilène, l’ambiance est plutôt à la solidarité. Mais qui sait comment les choses tourneront si la situation perdure ?