
Samedi 15 octobre et dimanche, à La Haye, un tribunal citoyen a examiné les crimes de Monsanto. Enfants malformés, agriculteurs malades ou ruinés, eaux polluées et sols détruits... Vingt-quatre témoins se sont confiés sur le calvaire né de leur rencontre avec le géant des OGM et des pesticides.
Comment juger Monsanto ? Cette question, lancinante, a traversé toute l’audience du tribunal contre le géant américain de l’agro-chimie, les 15 et 16 octobre à La Haye. Pendant deux jours, vingt-quatre témoins, scientifiques et juristes se sont succédés à la barre pour dénoncer les crimes de la multinationale célèbre pour ses OGM et son Round-Up, un herbicide à base de glyphosate. Face à cinq juges de renommée internationale, ils ont tout livré : les enfants malformés et les cancers, le bétail malade, les rivières polluées et les sols détruits, les terres et les semences traditionnelles confisquées, les études scientifiques prouvant la dangerosité du glyphosate - composant principal du Roundup - écartées ou dénigrées. Après plusieurs heures d’audition, la juge sénégalaise Dior Fall Sow a fini par formuler à voix haute la question que toute la salle se posait : « L’arsenal juridique est très important. Les preuves du lien entre le glyphosate et les dommages causés existent. Pourquoi en sommes-nous encore là ? Quels problèmes font que les comportements de cette multinationale ne sont pas poursuivis et réprimés ? » (...)
Certaines victimes ont déjà obtenu la reconnaissance de l’impact des pesticides sur leur santé, comme Paul François. L’agriculteur français, intoxiqué en 2004 par un herbicide nommé Lasso, a témoigné de ses victoires judiciaires contre Monsanto. Mais le prix à payer est exorbitant, confie-t-il avec amertume : « C’est long, violent et coûteux. Les avocats de Monsanto n’ont pas cessé de me démonter. J’ai déjà engagé plus de 40.000 euros dans la procédure. Malgré sa condamnation en appel en septembre 2015, la multinationale ne m’a pas encore versé un centime. » Monsanto a de nouveau fait appel et l’agriculteur attend désormais le pourvoi en cassation en 2017.
Théo, 9 ans, 50 opérations à cause de malformations dues au glyphosate (...)
Dans les pays du Sud, c’est encore plus compliqué. Comme au Brésil, dans les territoires consacrés à la monoculture du soja, où « plus de 60.000 personnes ont été empoisonnées au glyphosate entre 1999 et 2009 », dénonce le chercheur en santé publique et environnementale et membre de l’Association brésilienne de santé collective (Abrasco), Marcelo Firpo. Pourtant, « la plupart du temps, nous n’arrivons pas à porter ces affaires devant les tribunaux. Les procureurs réagissent d’une manière suggérant qu’on ne peut pas faire grand-chose. Le Brésil a signé bon nombre de conventions internationales mais rien n’est fait pour les respecter ! »
Monsanto a aussi ses petites techniques pour éviter le procès. (...)
Pantouflages et jeux d’influence
Non content d’intimider ses victimes. Le groupe se livre allègrement au pantouflage – les allers-retours de Michael Taylor entre l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) et Monsanto ont été évoqués. Ses sbires murmurent jusque dans les ministères et les institutions nationales stratégiques. (...)
Mais la situation n’est pas insoluble. Principes directifs relatifs aux entreprises et aux droits humains signés par l’ONU en 2011, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels... Les avocats qui se succèdent à la barre dimanche après-midi ne manquent pas d’idées de textes sur lesquels s’appuyer pour condamner Monsanto. Pour l’avocate Claudia Gomez Godoy, l’objectif est double : parvenir à indemniser les victimes et, surtout, éviter que la situation ne se reproduise.
Désormais, les cinq juges ont toutes les cartes en main pour rédiger un avis consultatif, dont la juge Françoise Tulkens pense qu’il permettra « à des avocats, des juges, des tribunaux, d’intervenir, d’aller plus loin sur les questions de responsabilité, de réparation des dommages causés par Monsanto. Mais aussi de faire progresser le droit international des droits humains ». L’avis pourrait être rendu, au plus tôt, le 10 décembre prochain. (...)