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À Bruxelles, plongez dans la discrète mais intense bataille que les lobbies livrent à l’intérêt général
Article mis en ligne le 27 janvier 2017
dernière modification le 23 janvier 2017

Plus de 10 000 organisations spécialisées dans le lobbying sont enregistrées à Bruxelles, dont environ un millier sont françaises. Parmi elles, quelques ONG, mais surtout des grandes entreprises, des associations industrielles et des cabinets de consultants. Comment ces lobbyistes défendant les intérêts des milieux d’affaires œuvrent-ils pour faire entendre leurs positions auprès des décideurs européens ? Tous les acteurs de cette scène combattent-ils à armes égales ? Plongée au cœur du quartier européen de Bruxelles.

(...) Ce phénomène des « portes tournantes » - autrement dit des allées et venues entre Commission et secteur privé – est régulièrement dénoncé par les ONG bruxelloises. Au-delà des cas emblématiques des anciens commissaires européens comme Manuel Barroso passé chez Goldman Sachs ou Connie Hedegaard chez Volkswagen [2], le phénomène concerne tous les échelons hiérarchiques de la Commission, et expliquerait en grande partie sa réceptivité aux arguments des lobbys.(...)

10 000 organismes sont inscrits au registre européen des lobbies, dont plus de mille sont Français [3] Les acteurs défendant les intérêts du secteur privé sont très largement majoritaires. Parmi eux, une centaine de cabinets de consultants et d’avocats conseils pour des entreprises tels que celui d’Hervé Jouanjean. Le sien, Fidal, déclare entre 100 000 et 200 000 euros de dépenses de lobbying en 2015 [4]. Un budget modeste au regard de ce qu’y consacrent de grands groupes. Les clients de son cabinet sont des entreprises de taille moyenne, comme le laboratoire pharmaceutique ou l’entreprise d’emballages dont l’ancien cadre de la Commission défend les dossiers. Les grandes entreprises, en plus de faire appel occasionnellement à un cabinet de lobbying ou d’avocats, ont leurs propres représentants à Bruxelles. Dans le grand jeu du lobbying auprès des institutions européennes, les multinationales bénéficient ainsi d’un rapport de forces favorable non seulement par rapport aux ONG et aux syndicats, mais aussi par rapport à leur concurrentes plus petites et moins internationalisées. (...)

Les trois entreprises françaises qui dépensent le plus pour défendre leurs intérêts auprès de la Commission sont toutes issues du secteur de l’énergie. EDF et Engie ont respectivement 14 et 13 lobbyistes « maison » enregistrés à Bruxelles, et déboursent chacune plus de 2,25 millions d’euros de frais de lobbying auprès des institutions européennes [6]. C’est finalement peu au regard des financements européens reçus par ces deux entreprises : 113 millions d’euros pour Engie l’an passé, plus de 3,5 millions pour EDF.
Pour influer au mieux, multiplier les canaux

Et encore, s’il n’y avait que les lobbyistes des grandes multinationales, ou des cabinets conseillant telle ou telle entreprise de taille intermédiaire... « Une grande firme adhère à une kyrielle de fédérations. Ainsi, le plus souvent, une même position est portée par huit ou neuf canaux », explique le sociologue Sylvain Laurens, auteur du livre Les courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles [7], et qui a étudié pendant plusieurs années le milieu du lobbying bruxellois. (...)

« Pour chaque secteur, en tant que lobbyiste, vous devez rencontrer régulièrement vingt à trente personnes de la Commission : le fonctionnaire junior, l’administrateur principal, le chef de secteur, le chef d’unité… Vous devez approcher l’échelon de base. C’est là que se rédigent les textes. Vous leur dites : “Ce point est important, car il y a tel type d’intérêt en jeu”. Le vrai travail se fait au niveau de la Commission. Le député complètera un vide dans un projet de directive, ou corrigera ce qui ne convient pas. Sur des sujets spécifiques, le parlementaire doit également être convaincu. Nous devons donc le voir et le revoir, détaille le lobbyiste. « Pour être écouté, nous devons porter un message avec un contenu technique » (...)

C’est l’argument central des lobbyistes présents à Bruxelles : leur activité s’inscrit dans le débat démocratique. Les ONG n’ont-elles pas également la possibilité de faire entendre leurs voix ? « Le lobbying, c’est le contre-pouvoir de la société civile au sens large. C’est à dire celui des ONG, des milieux professionnels, des consommateurs, des syndicats qui essaient de peser sur les processus de décision communautaires pour faire valoir leur point de vue. Le lobbying fait partie intégrante du processus décisionnel à Bruxelles », estime par exemple Daniel Guéguen, lobbyiste auprès de l’Union européenne depuis quarante ans. (...)

« Nous pouvons avoir l’impression que Greenpeace dispose d’une grosse force de frappe parce que leur bureau de Bruxelles compte quinze salariés et un budget de 1,6 million d’euros en 2015 [9]. C’est la plus grosse ONG à Bruxelles. Mais comparons la puissance de Greenpeace à celle de la Fédération européenne des industries chimiques, le CEFIC [European chemical industrie council, ndlr]. Eux disposent de 150 employés et 40 millions de budget par an, souligne Sylvain Laurens. Ce n’est pas à travers des campagnes d’influence concurrentes que les choses se jouent. L’enjeu se situe au cœur des comités d’expertise, là où les organisations industrielles sont souvent les seules à siéger. Les ONG n’ont pas toujours les moyens d’assister à ces huis-clos. Parce que le coût d’entrée est très élevé : il faut parler un langage de toxicologue, être capable d’amener un rapport de 250 pages écrit par des scientifiques qualifiés que l’on a éventuellement financés. » (...)

« Nous pouvons avoir l’impression que Greenpeace dispose d’une grosse force de frappe parce que leur bureau de Bruxelles compte quinze salariés et un budget de 1,6 million d’euros en 2015 [9]. C’est la plus grosse ONG à Bruxelles. Mais comparons la puissance de Greenpeace à celle de la Fédération européenne des industries chimiques, le CEFIC [European chemical industrie council, ndlr]. Eux disposent de 150 employés et 40 millions de budget par an, souligne Sylvain Laurens. Ce n’est pas à travers des campagnes d’influence concurrentes que les choses se jouent. L’enjeu se situe au cœur des comités d’expertise, là où les organisations industrielles sont souvent les seules à siéger. Les ONG n’ont pas toujours les moyens d’assister à ces huis-clos. Parce que le coût d’entrée est très élevé : il faut parler un langage de toxicologue, être capable d’amener un rapport de 250 pages écrit par des scientifiques qualifiés que l’on a éventuellement financés. » (...)