
Nous, militantes, chercheuses, élu.es, demandons la réhabilitation des femmes injustement condamnées pour avortement.
Nous ne pouvons les oublier
Cinquante ans après l’adoption de la loi Veil, avorter n’est plus un débat en France, c’est un droit fondamental, reconnu par la Constitution. Ces cinquante années de mouvements victorieux pour l’émancipation paraissent courts à l’échelle de l’Histoire de la répression patriarcale qui s’est exercée continûment contre les femmes qui ont eu recours à l’avortement. Nous ne pouvons oublier celles qui ont souffert, celles qui sont mortes des suites d’avortement clandestin et plus encore, celles qui ont été condamnées par des lois iniques. Nous, militantes, chercheuses, élu.es, demandons la réhabilitation des femmes injustement condamnées pour avortement.
Réparer une injustice historique
Jusqu’en 1975 et la loi Veil, les femmes ayant recours à l’avortement sont poursuivies, jugées, condamnées ou socialement ostracisées pour avoir pratiqué des avortements en application de l’article 317 du Code pénal de 1810. Déjà réprimé sous l’ancien régime, d’après les sources judiciaires de l’époque contemporaine, on trouve par exemple 1 020 condamnations entre 1826 et 1880, 715 entre 1881 et 1909. Après la Première Guerre mondiale, dans une France hantée par l’idée de dépopulation, toute femme « qui se serait procurée l’avortement à elle-même » risque de 6 mois à 2 ans de prison, et de 100 à 2 000 Francs d’amende.
Mais c’est surtout pendant le régime de Vichy que la répression s’intensifie : l’avortement redevient un crime passible de peine de mort et les condamnations de femmes avortées sont multipliées par 7 dans la période charnière de 1940-1943. En 1946, 5 151 affaires d’avortements clandestins sont encore jugées par les tribunaux, plus encore que sous Vichy. La condamnation des avortements perdure largement après la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’amnistie de 1974.
Réhabiliter ces femmes avortées, c’est reconnaître qu’elles ont été condamnées injustement. Il s’agit de restaurer leur dignité mais aussi de leur redonner une digne place dans l’Histoire des femmes et de leurs droits.
Sur le modèle de la proposition de loi votée par le Sénat le 22 novembre 2023 et l’Assemblée nationale le 6 mars 2024 visant à reconnaître la responsabilité de la Nation dans les condamnations pour homosexualité entre 1942 et 1982, une commission indépendante pourrait être chargée de la reconnaissance et de la réparation, matérielle ou symbolique, des femmes injustement condamnées pour avortement.
La mémoire pour changer l’histoire des femmes
A l’heure toutefois où 40% des femmes dans le monde vivent dans un pays qui restreint ou interdit leur droit à l’IVG, à l’heure où elles sont 47 000 à mourir parce qu’on leur refuse un avortement sûr, à l’heure enfin où ce droit recule drastiquement aux Etats-Unis, la réhabilitation que nous demandons est un geste politique fort, dans la continuité de la constitutionnalisation de mars 2024.
Réhabiliter et obtenir réparation pour les femmes condamnées, c’est aussi déconstruire les stigmates qui entourent encore trop souvent l’avortement et écrire un autre récit de l’avortement. Il ne s’agit pas seulement d’un acte médical, mais d’un choix éminemment politique, social et personnel dont aucune femme n’aurait dû se sentir coupable.