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Voitures électriques : la leçon de politique industrielle de la Chine à l’Occident
#voitureselectriques #Chine
Article mis en ligne le 21 mai 2024
dernière modification le 19 mai 2024

Dépassant Tesla, le géant chinois BYD est devenu fin 2023 le plus gros producteur de voitures électriques au monde. Des années durant, il a prospéré sur un modèle néo-fordiste d’intégration verticale, lui assurant un contrôle sur l’ensemble de la chaîne de production – profitant de la dynamique de délocalisation et de sous-traitance qui prévalait en Occident. Les subventions étatiques de l’État chinois ont fait le reste et BYD pose désormais un sérieux défi aux Occidentaux, dans un contexte de transition énergétique où la voiture électrique est amenée à jouer un rôle croissant. Un enjeu que les États européens feraient bien de prendre à bras-le-corps, plutôt que d’accroître leurs dépenses militaires et d’attiser la psychose d’un nouveau conflit mondial. Article de Paolo Gerbaudo, initialement publié sur Phenomenal World, traduit par Piera-Simon Chaix.

(...) Face au « choc japonais », les pays occidentaux répliquèrent par des mesures protectionnistes. Pour limiter l’impact concurrentiel sur leur industrie automobile, les États-Unis et le Royaume-Uni ont négocié avec le Japon des quotas volontaires à l’importation, tandis que les pays européens adoptaient des mesures du même ordre. Mais ce n’était qu’un premier pas vers une transformation en profondeur de l’industrie occidentale. Dans une tentative désespérée pour regagner leur compétitivité internationale perdue et pour apaiser les revendications grandissantes de leurs travailleurs, des entreprises du secteur automobile commencèrent à imiter leurs rivaux japonais dans le monde entier. La « méthode Toyota », exposée par l’ingénieur industriel en chef de l’entreprise, Taiichi Ohno, devint l’implacable mantra de tout manager industriel digne de ce nom – alors même que les business schools d’Amérique du Nord commençaient à enseigner les méthodes Kaizen et Kanban de la production dite « à flux tendu ».

Cette évolution culturelle, parfois décrite comme un processus plus large de « japonisation », a servi de catalyseur à l’adoption de ce que les sociologues ont fini par appeler les « stratégies de management post-fordistes ». Centrées sur la flexibilité et la réduction des coûts, ces stratégies rejettent les modèles de production à intégration verticale sur lesquels se reposaient les leaders américains et européens du secteur automobile dans les années 1950.

Près de cinquante ans après ce « choc japonais », l’industrie automobile contemporaine est à présent confrontée à un bouleversement bien plus systémique, que nous pourrions appeler le « choc du véhicule électrique chinois ». (...)

Grâce à de bonnes ventes de véhicules à moteurs à combustion interne et à la hausse de la demande russe induite par les sanctions occidentales, la Chine a déjà dépassé le Japon en tant que plus gros exportateur d’automobiles du monde. (...)

Les stratégies adoptées par les gouvernements occidentaux face à ce nouveau défi concurrentiel, dans un secteur depuis longtemps considéré comme un baromètre des prouesses économiques, sont une question centrale pour le XXIè siècle. Aux États-Unis comme dans l’Union européenne, la percée des véhicules électriques chinois a suscité des accusations de pratiques déloyales. Annonçant en septembre dernier une enquête sur les liens entre aide étatique et succès chinois dans ce secteur, Ursula Von der Leyen a affirmé que celle-ci résultait d’une « manipulation de marché ». Dans le même ordre d’idées, Joe Biden s’est engagé à empêcher les véhicules électriques chinois d’« inonder [le] marché [américain] », tandis que Donald Trump a décrit l’impact des voitures électriques chinoises comme un « bain de sang » économique.

Derrière ces remarques incendiaires se trouve une transformation industrielle non moins significative que celle impulsée par les fabricants japonais d’autrefois. La percée de l’industrie des véhicules électriques chinois a non seulement été permise par de généreuses subventions gouvernementales, mais aussi par de profonds changements de stratégie et d’organisation – en particulier par la résurgence notable de l’intégration verticale, que ce soit au niveau de chaque entreprise ou de l’État. (...)

Cette approche néo-fordiste a permis à BYD de tirer les coûts vers le bas, tout en coordonnant et en accélérant l’innovation pour plusieurs composants essentiels. De plus, cette approche a permis à l’entreprise d’atténuer les incertitudes opérationnelles et de remédier aux pénuries de différents facteurs et services entrants, comme celle des puces électroniques qui se prolonge depuis 2020.

En parallèle, le gouvernement chinois favorisait l’intégration verticale au niveau national. L’objectif fixé par le plan « Made in China 2025 » – dont l’ambition est de renforcer la suprématie technologique chinoise – est que 80 % de la chaîne de valeur des véhicules électriques soit effectivement située au sein du pays. Bien que le modèle soit susceptible de changer en fonction de l’évolution des relations au sein de l’entreprise, ce tournant vers une « réintégration » et un « re-internalisation » est lourd d’enseignements pour l’avenir de la politique industrielle.

La révolution du véhicule électrique (...)

La production automobile est non seulement dépendante des secteurs de l’extraction, des produits chimiques, de l’acier et de l’électronique, mais aussi d’une armée de techniciens et d’ouvriers, de machines et d’usines. C’est une industrie qui est confrontée à une barrière économique démesurée et implique des risques entrepreneuriaux majeurs. Tout ceci explique pourquoi relativement peu de pays peuvent prétendre rejoindre le club fermé des fabricants automobiles. Ces obstacles sont encore plus importants lorsqu’il est question de véhicules électriques. (...)

La place centrale qu’occupent les batteries dans le secteur des véhicules électriques explique pourquoi la construction de gigafactories (immenses usines de fabrication capables de produire des batteries dont le stockage total se chiffre en milliards de watts-heures) est devenue si cruciale, de même que l’accès au lithium. Ce métal alcalin n’est pas rare dans la croûte terrestre, mais son extraction n’est économiquement viable que dans les quelques rares endroits du monde où sa concentration est suffisante. Le Chili, l’Argentine et l’Australie sont à ce titre les nations les mieux pourvues. Afin de sécuriser leur accès à cette matière première, certaines entreprises de véhicules électriques s’immiscent à présent directement dans le secteur de l’extraction du lithium, par l’achat de parts ou en tant qu’actionnaire unique. (...)

Le retour de l’intégration verticale

Les faiblesses de la chaîne d’approvisionnement mondiale sont devenues encore plus apparentes après la pandémie, dans un contexte d’une concurrence sécuritaire accrue. Des termes comme « délocalisation » et « internalisation » ont fait leur apparition dans le débat public. BYD constitue, à cet égard, une manifestation contemporaine fascinante de « re-internalisation » de la production nationale – et des relations que ce mouvement entretient avec les nouvelles politiques industrielles dans leur ensemble. (...)

En mars 2024, l’UE a commencé à enregistrer les véhicules électriques chinois passés en douane, ce qui signifie que ces droits de douane pourraient être rétroactifs. Les droits à l’importation n’offriront cependant qu’un répit passager si aucune réflexion plus approfondie sur la structure changeante de la production mondiale n’est menée. Les pays occidentaux devraient réaliser que dans de nombreux secteurs, tels que celui des véhicules électriques, ils sont, pour la première fois dans l’histoire moderne, en mode « rattrapage » vis-à-vis de leurs concurrents plus avancés, qu’ils considèrent aussi comme des rivaux géopolitiques clés. Plutôt que de concentrer leur attention sur l’augmentation des dépenses militaires et d’attiser la psychose d’une nouvelle guerre mondiale, les pays occidentaux devraient bien plutôt prendre au sérieux le défi technologique et militaire lancé par la Chine.