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Violences policières : des chiffres inédits accablent la police des polices
#violencespolicieres #IGPN
Article mis en ligne le 2 décembre 2025
dernière modification le 30 novembre 2025

Des violences policières qui ont plus que doublé depuis 2016, et dans le même temps, des taux d’élucidation de ces affaires en baisse : c’est le constat détaillé dans un rapport publié le 18 novembre.

« L’impunité policière s’accroît. » Voici la conclusion d’un rapport publié le 18 novembre par le média et ONG spécialisé sur les violences policières Flagrant déni. Grâce à des statistiques inédites obtenues auprès du ministère de la Justice, elle révèle que les violences par « personne dépositaire de l’autorité publique » (PDAP) [1] ont doublé depuis 2016, et que les enquêteurs chargés d’élucider ces affaires trouvent deux fois moins souvent les coupables.

Intitulé « Polices des polices : pourquoi il faut tout changer », ce document est l’aboutissement d’années de travail mais paraît opportunément moins de deux semaines après la révélation par Mediapart et Libération du contenu des caméras-piétons des gendarmes présents lors de la mobilisation anti-mégabassines de Sainte-Soline en mars 2023. (...)

Selon les données du ministère de la Justice, ce phénomène est en augmentation quasi constante : alors qu’il était de 700 en 2016, ce nombre d’affaires est de 1 110 en 2024. » Soit + 59 % en huit ans.

« Cette statistique est effrayante, je ne pense pas qu’il y ait une augmentation similaire dans un autre type de délinquance », a commenté Mohamed Jaite, président de la section de Paris du Syndicat des avocats de France, lors de la conférence de presse mardi 18 novembre au matin.

Dans un café parisien aux sièges de velours rouge, l’ONG a réussi à réunir de nombreux médias nationaux, assistants parlementaires et même députés, déléguée de la Défenseure des droits, collectifs et associations de défense des victimes de violences policières. « Ça fait chaud au cœur de voir tant de monde se déplacer », a réagi Mélanie N’goye Gaham, de l’association Mutilé·e·s pour l’exemple.

Les homicides policiers en hausse

Le nombre d’homicides policiers est aussi en hausse, rappelle Flagrant déni, qui reprend les chiffres de nos confrères de Basta !, qui ont compté « 52 décès liés à une intervention des forces de l’ordre en 2024 et 50 en 2023 » contre 10 morts en 2010. (...)

l’IGPN, d’après le peu d’informations qu’elle accepte de dévoiler, ne traite que 10 % des affaires pénales impliquant des policiers. Son homologue côté gendarmes, l’IGGN, n’en a traité, elle, que 8,4 % en 2024.

Un manque d’indépendance

Qu’arrive-t-il donc au reste de ces affaires ? En l’absence de statistiques nationales, le rapport tente de lever le voile sur la prise en charge de ces 90 % d’affaires restantes. Il identifie deux issues principales : l’enquête est en général confiée soit à un service de « droit commun » — comprenez un commissariat, parfois le même que celui dont sont issus les policiers incriminés —, soit à une « cellule déontologie », sorte de police des polices départementale.

Impossible de savoir dans le détail le volume d’affaires traitées par ces différents services, déplore Flagrant déni, qui a tenté en vain d’obtenir des chiffres. (...)

quel que soit le service concerné, le problème reste le même, résume l’enquête de Flagrant déni : un manque d’indépendance à la fois « verticale » (hiérarchique) et « horizontale » (aux collègues). Au niveau de l’IGPN, les enquêteurs et leur directeur sont rattachés au ministère de l’Intérieur. « Le contrôle que la hiérarchie exerce à tous les niveaux est très étroit », témoigne une source anonyme dans le rapport. « Les policiers eux-mêmes souhaitent de moins en moins travailler au sein de l’IGPN, parce que c’est une position intenable de mener des enquêtes sur les collègues », ajoute Lionel Perrin. Au point que même l’IGPN reconnaît une crise des vocations.

Au niveau départemental, ce manque d’indépendance est accentué par une dépendance hiérarchique encore plus forte (...)

« Dans certains cas, on auditionne quelqu’un avec qui on a pu aller boire un café ou fumer une clope », témoigne un policier dans le rapport.

Flagrant déni donne un taux d’élucidation de 25 % sur l’ensemble des enquêtes et pas uniquement celles menées par l’IGPN. « Ce chiffre est accablant mais pas surprenant », indique Lionel Perrin. Comment l’explique-t-il ? « L’IGPN est en crise. »

Les moyens pour traiter ces affaires diminuent, reconnaît même la DGPN, qui note dans son courriel à Reporterre que l’IGPN est « confrontée à des difficultés d’attractivité, en particulier pour les services d’enquête de Paris, de l’outre-mer et de Marseille. Au 1er septembre 2025, sur 135 postes d’enquêteurs que compte la sous-direction des enquêtes administratives et judiciaires, 20 % étaient vacants. » (...)

Demande d’une commission d’enquête

En découlent des enquêtes qui traînent, privilégient la version policière, n’aboutissent que rarement, sans parler de la difficulté des victimes à porter plainte, résume Flagrant déni. « Ce travail est un soulagement car cela fait des années que l’on communique sur le fait que nos affaires sont quasi systématiquement classées sans suite, a témoigné Mélanie N’goye Gaham lors de la conférence de presse. On souhaite que l’IGPN soit indépendante. »

Pour la DGPN, elle l’est déjà, car les enquêtes sont placées « sous le contrôle de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle », explique-t-elle à Reporterre, soulignant que « les enquêteurs chevronnés qui travaillent au sein des délégations de l’IGPN sont extrêmement soucieux de leur indépendance et de leur impartialité ».

Un discours déjà bien connu de Flagrant déni. (...)

Le but de ce rapport est donc d’avancer des propositions : que la police des polices ne soit plus sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, faciliter le dépôt de plainte, créer un corps d’inspecteurs nombreux et indépendants...

« Il faut légiférer »

Comment pousser une telle réforme ? « Le pouvoir exécutif assume pleinement la confrontation avec la population donc c’est bloqué de ce côté-là, estime Lionel Perrin. Côté justice, c’est aussi bloqué, donc il faut passer par la voie parlementaire. » Il demande une commission d’enquête parlementaire qui serait suivie d’un projet de loi.

Restera alors à compléter ce travail côté judiciaire. Car les procureurs également sont pointés du doigt par les victimes de violences policières pour leur manque de diligence à mener certaines enquêtes, comme dans le cas de Sainte-Soline. (...)