
LeLe rapport est prêt. Ce dossier de plus d’une centaine de pages regorge de « données très riches », nous assure une source, voire de « chiffres qu’on n’a jamais vus jusqu’ici », selon une autre. Pourtant, cette étude intitulée « (Cyber)violences de genre chez les jeunes de 11 à 18 ans » ne sera pas rendue publique début avril, comme c’était prévu à l’origine.
La décision a été prise par le ministère de l’éducation, qui préférerait en repousser la diffusion aux alentours de « novembre 2025 », a appris Mediapart de sources concordantes. La faute à une atmosphère politique trop électrique ? Contacté, le ministère n’a pas répondu à nos questions.
C’est sous Pap Ndiaye que le cabinet a commandé, au printemps 2022, ce travail visant à comprendre le lien entre le genre et les violences à l’école, au collège et au lycée. Il a été délégué au Centre Hubertine Auclert, organisme francilien reconnu pour son expertise sur les questions d’égalité femmes-hommes, en partenariat avec une chercheuse grenobloise, et cofinancé par le ministère et la région Île-de-France.
Trois ans plus tard, c’est la grande déconvenue. « On a l’impression que le rapport va être enterré », s’inquiète aujourd’hui une enseignante référente égalité filles-garçons, qui dit ne « pas comprendre pourquoi cette étude est cachée ». Elle fait partie des quelques centaines d’invité·es qui ont assisté, le 13 février, à un événement du Centre Hubertine Auclert durant lequel des extraits de l’étude ont été présentés en avant-première.
Des violences sexuelles très répandues (...)
La vingtaine de diapositives montrées le 13 février donne un aperçu de la teneur de ce travail inédit, qui permet de quantifier l’ampleur des violences et cyberviolences dans l’espace scolaire en France. Mediapart a choisi de publier ces données d’intérêt public, qui montrent l’urgence d’agir pour protéger les élèves et lutter contre les discriminations liées au genre et à l’orientation sexuelle, dès le plus jeune âge.
Pendant deux ans, pas moins de 3 800 élèves ont été interrogé·es, au sein de quatorze établissements des académies de Créteil, Paris et Versailles, dans des zones urbaines et rurales.
Première statistique, vertigineuse : on apprend que « 43 % des élèves ont été victimes de violences sexuelles » au cours de la dernière année écoulée (...)
Première statistique, vertigineuse : on apprend que « 43 % des élèves ont été victimes de violences sexuelles » au cours de la dernière année écoulée (...)
Les filles sont plus concernées (une sur deux) que les garçons (38 %), tandis qu’une grande partie des élèves assigné·es LGBTQIA+ disent en avoir subi, tous genres confondus. (...)
Deuxième constat : « Seulement 26 % des victimes de violences en parlent » et « seulement 13 % des victimes se tournent vers des adultes de l’école. » (...)
Une étude qui parle ouvertement des questions LGBTQIA+
La méthode utilisée pour réaliser cette étude est sans précédent : il a été demandé aux élèves comment ils et elles définissaient leur propre genre (fille, garçon, non binaire), ainsi que l’orientation sexuelle à laquelle ils et elles étaient assigné·es. (...)
Une élève a ainsi pu rapporter qu’elle avait été, dès la cinquième, traitée de « lesbienne », sans même savoir ce que cela signifiait.
Est-ce cette liberté d’autodétermination des sujets interrogés qui poserait problème ? « Je pense que l’étude ne plaît pas trop, abonde une personne proche du dossier. On y dit que les jeunes personnes trans existent, on dit le mot “lesbienne”, on dit que les élèves peuvent s’identifier garçon ou fille comme ils veulent… »
Le rapport mentionne en effet en grand détail les LGBTphobies. Et l’on y apprend que « les garçons assignés GBT+ sont marginalisés et ciblés par des violences physiques, tandis que les filles assignées LBT+ subissent une hypersexualisation et des violences sexuelles ».
Il est aussi fait état d’un « double standard hétérocisnormatif », avec des « pressions sur les garçons pour prouver leur virilité et sur les filles pour rester pudiques d’autant plus renforcées par la mise en couple ». (...)
Selon les actrices et acteurs du secteur avec qui Mediapart a échangé, le cabinet d’Élisabeth Borne, qui n’a pas répondu à nos questions, craindrait, en diffusant aujourd’hui ces données, de raviver l’offensive réactionnaire qui s’est élevée autour du programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). (...)
« Le ministère ne veut pas prendre le risque d’une nouvelle polémique avant la première mise en œuvre des Evars en septembre, souligne une personne bien informée, surtout en ce moment, où on constate un recul des questions LGBT dans la société. »
L’argument ne convainc pas du côté des professeur·es référent·es égalité. « C’est vraiment dommage qu’il ne sorte pas maintenant, appuie l’enseignante susmentionnée. On aurait justement besoin de ce rapport pour légitimer nos actions auprès des directions, des parents d’élèves, des collègues… Il faut qu’on puisse s’appuyer sur des données sourcées et des chiffres précis. »
Un autre professeur référent s’interroge : « Je ne comprends pas. Pour moi, ce rapport est le meilleur argument pour montrer qu’on a absolument besoin des Evars ! » (...)
Les établissements scolaires mis en cause
Et puis il y a une autre actualité, encore plus brûlante, que plusieurs mentionnent à mots couverts. « La décision tombe au moment de l’affaire Bétharram, c’est une coïncidence un peu curieuse », s’interroge une personne ayant eu accès à l’étude. (...)
Au sujet de la prise en charge des signalements d’élèves, les conclusions du rapport « (Cyber)violences de genre chez les jeunes de 11 à 18 ans » ne sont pas tendres envers l’Éducation nationale. On lit notamment que dans un cas sur cinq, il n’y a « pas eu d’action » quand un·e élève a demandé de l’aide à un adulte de son établissement scolaire. (...)
L’étude note aussi « une faible connaissance des protocoles de prise en charge des (cyber)violences, qui peut mener à l’inaction au sein de l’établissement, en particulier lorsqu’une procédure pénale est engagée – alors que les procédures pénales et disciplinaires sont indépendantes ». De quoi donner de nombreuses pistes d’amélioration, sur lesquelles pourront se pencher les établissements, une fois que le rapport aura paru.