Durant six semaines, l’Observatoire toulousain des pratiques policières a observé la manière dont les forces de l’ordre géraient la mobilisation locale. Bilan : une militarisation disproportionnée, des entraves répétées à la liberté d’information et une stratégie du « pourrissement ».
L’Observatoire toulousain des pratiques policières (OPP) a rendu public lundi 13 mai à Toulouse son « Rapport sur les opérations de police et de gendarmerie dans le cadre des oppositions à la construction de l’autoroute A69 ». Consulté par Mediapart, ce document de 44 pages, étayé de photos et de notes circonstanciées, décrypte la répression d’un mouvement civil d’opposition à la construction d’une autoroute et donne à voir « le vent mauvais qui souffle sur notre démocratie ».
Entre le 10 février, jour de la venue sur place de l’activiste suédoise Greta Thunberg, et le 24 mars, des membres de l’OPP se sont rendus à dix-huit reprises sur le site de la Crem’arbre, à côté de Saïx, non loin de Castres (Tarn). Un site où, dès novembre, plusieurs « écureuils » – des militant·es écolos – s’étaient intallé·es dans les arbres d’une zone à « fort enjeu écologique », pour empêcher leur abattage. La ZAD mise en place a été évacuée le 15 février.
Le 24 mars, les derniers occupant·es des arbres les ont quittés après un avis de l’Office français de la biodiversité (OFB) rendant juridiquement impossible leur abattage avant le 1er septembre prochain. Et les militaires déployés ont quitté le site le 2 avril. (...)
Le rapport fait ressortir trois traits marquants : d’importantes entraves à la liberté d’information et d’observation ; une militarisation disproportionnée au regard de l’enjeu (permettre l’abattage d’arbres) et de la nature de l’opposition (des militant·es pacifistes) ; et l’adoption d’une double stratégie de « pourrissement » et de « submersion », mettant en danger les personnes mobilisées.
À partir du 15 février, date de démantèlement de la ZAD, observateurs et observatrices, journalistes et même élu·es, sont empêché·es de circuler sur le site par les forces de l’ordre – gendarmes mobiles et CRS –, qui arguent d’une « opération judiciaire en cours » aux contours mal définis. Les entraves, souligne le rapport, ce sont aussi les véhicules de police disposés sur le chemin de la Crémade pour empêcher journalistes et observateurs·trices, déjà contenu·es par des cordons de policiers, de voir ce qui se passe.
Un constat partagé par le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst, qui, dans son rapport publié le 29 février, une semaine après sa visite sur place, demande « aux autorités françaises de faciliter le travail de la presse et des observateurs, conformément aux obligations internationales de la France ». (...)
Cent grenades lacrymogènes en une heure
À cet important déploiement de moyens humains s’ajoute le recours à du matériel de guerre, notamment deux Centaures, blindés équipés de lanceurs pouvant tirer jusqu’à trente munitions simultanément à 200 mètres de distance. Soit la « militarisation d’un espace rural avec quasiment tous les moyens matériels disponibles, y compris blindés et hélicoptères [...] pour “contrer” une action de résistance civile non violente », s’étonne l’OPP.
Le 18 février, les observateurs assistent à l’évacuation par les gendarmes « sans aucun ménagement d’une personne inconsciente […] jetée sur le talus de l’autre côté du passage à niveau et laissée aux médics... »
Il faudra l’intervention des observateurs·trices pour que les secours puissent prendre en charge ce manifestant, plus d’une heure plus tard. Un délai « absolument anormal au regard de la situation qui prévalait à Saïx ce 18 février 2024. Et surtout, c’était aux gendarmes de la prendre en charge », pointe le rapport. Mais ils sont trop souvent occupés à autre chose. (...)
Également dans la mire de l’observatoire toulousain, les pressions exercées sur les « écureuils » et les privations de ravitaillement, y compris en eau, constatées à plusieurs reprises sur place. Une stratégie du « pourrissement » misant sur l’épuisement des militant·es. Le rapport contient aussi quelques tirades policières bavardes (...)
Une préoccupante lecture « campiste » et discriminante de la société française de la part des éléments qui y détiennent l’usage de la force. (...)
« Nous avons été marqués par la très mauvaise connaissance de ces gendarmes et policiers, dont la gestion des manifestations est pourtant le cœur de métier, des contours de leurs missions... Ils ne connaissent pas du tout, ou très mal, les textes qui régissent l’ensemble des droits à manifester », ajoute Pascal Gassiot.
Pour le rédacteur du rapport, membre de l’OPP depuis sa création en 2017, « ce qui s’est passé à Saïx est un laboratoire. Dans les années qui viennent, on va assister à la multiplication de ce type d’oppositions protéiformes où l’on retrouve des défenseurs des arbres, des syndicalistes, des militants autonomes zadistes... Un agrégat de gens qui sont sur des positions et des modes d’action différents mais se retrouvent sur des luttes comme celle-là. Et Darmanin ne s’est pas caché de vouloir réprimer ces mobilisations avec la création de sa cellule anti-ZAD... ». (...)
« Ce que les observateurs ont constaté à Saïx est une illustration, concentrée dans le temps et dans l’espace, de ce qui se déroule aujourd’hui dans notre pays [...]. Il n’est plus possible de laisser perdurer la situation qui prévaut actuellement, où se mêlent une instrumentalisation de la police et de la gendarmerie à des fins de carriérisme politique. »