Dans la nuit du 9 au 10 décembre 2024, le cyclone Chido atteignait le stade de tempête tropicale avant de balayer l’archipel d’Agaléga. Le 14 décembre, il dévastait Mayotte. Un an plus tard, l’île porte toujours les stigmates de la catastrophe : maisons éventrées, écoles fermées, structures hospitalières sinistrées… Les habitants, eux, vivent dans l’attente des aides promises par l’État.
Sur la route qui longe la capitale Mamoudzou, l’océan Indien n’apparaît plus qu’à travers des interstices. Des monticules de tôles, de déchets et de carcasses de voiture, parfois hauts de dix mètres, obstruent encore la vue sur le lagon. Le long du littoral, les bateaux échoués gisent toujours à moitié immergés, couchés comme au lendemain du passage du cyclone.
C’est dans ce décor que Mayotte marque, sans l’avoir vraiment digérée, la date anniversaire de Chido, le plus puissant cyclone qu’ait connu l’île depuis 90 ans. Le 14 décembre 2024, ses rafales soufflent à plus de 220 km/h, laissant derrière elles 40 morts, 41 disparus et plus de 5 600 blessés, selon le bilan officiel.
L’ampleur des dégâts est immédiate : ce jour-là, Bruno Retailleau, alors ministre de l’Intérieur, affirme que l’habitat précaire, ces constructions en tôle dans lesquelles vit plus d’un tiers de la population, est « complètement détruit ». Des quartiers entiers de l’archipel sont ravagés, tout comme près des deux tiers du bâti résidentiel désormais éventrés, sans toiture ou fragilisés au point d’être inhabitables. Un an après, certaines maisons sont réapparues, reconstruites à la hâte, mais beaucoup ont encore leur toit bâché ou leurs murs à nu. « On a l’impression que le cyclone, c’était hier », déplore Patrick, habitant de Mamoudzou, à l’est de Mayotte. (...)
Pour cause, la plupart des chantiers annoncés n’ont toujours pas démarré. « L’aide de l’État n’est jamais arrivée », résume Ibrahim, chef d’entreprise à Mamoudzou. La loi de programmation pour la refondation de Mayotte, promulguée le 11 août 2025, promet pourtant quatre milliards d’euros sur six ans pour remettre l’archipel sur pied. Selon Estelle Youssouffa, députée de la première circonscription de Mayotte, seuls 25 millions d’euros ont réellement été versés depuis le début de l’année.
À ce jour, uniquement deux des 28 décrets nécessaires à la concrétisation de cette loi ont été publiés. (...)
De nombreux habitants assurés n’ont toujours pas perçu l’indemnisation des dégâts causés par Chido. Pour les foyers qui espéraient se tourner vers les prêts à taux zéro, adoptés en février dernier pour faciliter la reconstruction, la désillusion est la même : « C’est quasiment impossible d’en avoir parce qu’il faut cocher 45 cases », souffle Patrick.
Pénurie d’eau
Après le passage du cyclone, l’État s’était aussi engagé à enfin garantir l’accès des Mahorais à l’eau. Si elle a cessé de couler dans tout l’archipel lorsque Chido a frappé, les fragilités de l’île ne sont pas nouvelles : près d’un habitant sur trois vivait déjà sans eau courante à son domicile avant la catastrophe, selon un rapport du Comité de l’Eau et de la Biodiversité de Mayotte. (...)
« On n’a pas le choix, on remplit des bidons et des bouteilles » (...)
Étudier à moitié
Avant Chido, l’école mahoraise manquait, elle aussi, déjà de tout : de murs, de matériel, de classes – 1 200 places faisaient défaut dans les écoles, selon un rapport de la Chambre régionale des comptes La Réunion‑Mayotte. Des manques « aggravés par les conséquences du passage du cyclone Chido », précise le texte, qui évoque entre 3 000 et 5 000 enfants non scolarisés dans un territoire où le nombre d’élèves va bondir de 21 % entre 2021 et 2031. Le cyclone a, quant à lui, affecté la quasi-totalité des établissements scolaires, dont 40 % rendus inutilisables avant plusieurs semaines. Un mois et demi après son passage, près d’un quart des écoles restaient fermées, ainsi que 9 % des collèges et lycées. Beaucoup ne fonctionnent aujourd’hui qu’en partie. (...)
« Il y a des communes comme Koungou où les élèves ont trois heures de cours par semaine parce que toutes les écoles ont été détruites. » (...)
« Chido nous a dévastés, mais Paris nous a achevés »
Le cyclone s’est abattu sur un système éducatif déjà saturé. Ainsi du système de santé de Mayotte, plus grand désert médical de France, où le nombre d’accouchements et de consultations avait plus que doublé en dix ans. Chido n’a fait qu’éprouver davantage ses structures de soin : si les services ont été inondés et les équipements rendus inutilisables en quelques heures, les travaux, eux, progressent lentement. « Ils ont réparé une partie des toits, mais pas tous. Dans mon service, c’est prévu pour 2027 », glisse une infirmière du centre hospitalier de Mayotte.
« L’hôpital, le seul de Mayotte, est une catastrophe. Certains services sont encore bâchés et le personnel travaille en dehors de tout cadre sanitaire normal. Les toits ne sont pas réparés, ça fuite partout… Il y a des départs massifs de soignants qui n’en peuvent plus de travailler dans ces conditions », poursuit Estelle Youssouffa. Et d’ajouter : « En quelques années, on a eu la crise de l’eau, l’opération Wuambushu, les mouvements sociaux, le choléra, et enfin Chido. Les Mahorais sont complètement exténués psychologiquement et c’est extrêmement dur de voir le territoire qui s’enfonce dans l’inertie et la désolation. Chido nous a dévastés, mais Paris nous a achevés. »
Les Mahorais, aussi confrontés à la pauvreté et à une agriculture locale devenue exsangue, redoutent désormais un nouveau cyclone avant même d’avoir pu se relever du précédent.