Le terme d’« ultradroite » s’est imposé dans les médias pour désigner les groupes plus radicaux que le RN. Mais il ne prend pas en compte la porosité importante entre groupuscules et partis d’extrême droite, et présume à tort que ceux-ci n’usent pas de la violence.
« Ultradroite » : ces dernières années, le terme a fleuri dans les médias, qui l’utilisent à tout-va, comme un synonyme d’« extrême droite hors Rassemblement national (RN) ».
Dans la presse, il désigne pêle-mêle des groupes terroristes projetant des attentats contre des élu·es ou des mosquées, des groupuscules menant des attaques violentes contre des militant·es antifascistes ou des personnes racisées, ou des formations idéologiquement radicales mais non violentes.
Devenue « fourre-tout », cette classification se heurte à la réalité du terrain.
Un terme issu de la sphère policière
À l’origine, ce terme est issu de la sphère policière. En 1994, une affaire d’« espionnage » d’un congrès à huis clos du Parti socialiste (PS) par un agent des renseignements généraux (RG) provoque une réforme de ce service : le suivi de l’activité des partis politiques est alors interdit, mais pas celui des individus susceptibles, « au nom d’idéologies extrêmes », de recourir à la violence physique ou de préparer des actions illégales, et donc de constituer une menace pour l’ordre public. (...)
La porosité entre « extrême droite » et « ultradroite »
Tracer une frontière étanche entre les extrêmes droites partisane et groupusculaire est impossible. Dans la pratique, les liens interpersonnels et amicaux sont importants. Et il arrive que certains membres de formations légalistes se rendent à des événements d’organisations violentes, ou se joignent à celles-ci pour aller faire le coup de poing. Cette forme de « double appartenance » est tolérée tant qu’elle reste discrète. Mais lorsque des membres sont épinglés publiquement, des sanctions sont prises.
Cette porosité parcourt l’histoire du Rassemblement national. Le parti est né, en 1972, de l’union de différentes chapelles – militants d’Ordre nouveau (groupuscule néofasciste réputé pour sa violence), anciens de l’OAS et ex-collaborationnistes. (...)
Un même socle idéologique d’extrême droite
La porosité ne se limite pas aux militants, elle concerne aussi le socle idéologique. « Ce qui lie cette famille politique, c’est son idéologie », rappelait, sur le plateau d’Arrêt sur images, la politiste Bénédicte Laumond, qui étudie les radicalités d’extrême droite en France et en Allemagne.
Si les moyens d’organisation, le recours ou non à la violence varient, soulignait la chercheuse, l’idéologie reste la même, qui repose sur deux piliers : « l’ethnocentrisme » – l’idée que la nation est un peuple homogène, avec un groupe dominant (souvent culturel ou ethnoracial) dont sont exclues les minorités ; et « l’autoritarisme », c’est-à-dire le soutien à des politiques autoritaires, qui se déploie avant tout contre les minorités.
Les extrêmes droites partisane et groupusculaire partagent le même ciment idéologique (le rejet de la société multiculturelle, de la présence des immigrés et de l’islam en Europe), et certains slogans : comme le fameux « On est chez nous ! », entendu autant dans les meetings de Marine Le Pen que dans les expéditions de groupes violents ; la « préférence nationale », rebaptisée « priorité nationale » au RN ; le « racisme anti-Blanc » ou « anti-Français » ; ou encore la théorie complotiste du « grand remplacement », popularisée par les identitaires et Éric Zemmour, brandie par des terroristes d’extrême droite et aujourd’hui reprise à son compte par le président du RN Jordan Bardella.
Cette convergence des slogans a pu s’observer cette semaine concernant la mort du jeune Thomas à Crépol (Drôme) (...)
Parler d’« ultradroite », c’est donc gommer le fait que ces groupuscules violents reposent sur un même socle idéologique d’extrême droite.
L’ambiguïté du RN, l’absence de condamnation de Reconquête
C’est la raison pour laquelle Marine Le Pen se refuse toujours à qualifier ou condamner l’idéologie de ces groupes. (...)
Mediapart et l’usage du terme « ultradroite »
Mediapart a commencé à employer le terme d’« ultradroite » en 2013, à l’occasion de la mort du militant antifasciste Clément Méric, tué par des skinheads, et lors des violences émaillant les manifestations contre le mariage pour tous (ici et là).
Au fil des années, nous avons eu à la rédaction de nombreux débats sur l’emploi de ce vocable, essentiellement policier, employé comme fourre-tout par les médias.
Aujourd’hui, cette manière de nommer les choses ne nous paraît plus correspondre à la réalité et sa complexité. La mouvance d’extrême droite est faite d’une multitude de chapelles, en constante recomposition, avec une porosité et des alliances ponctuelles importantes, comme nous l’avons raconté. Impossible, dès lors, de tracer une ligne étanche entre extrême droite partisane et ultradroite violente.
Considérant que l’époque nécessite le maximum de clarté, Mediapart parlera donc désormais d’« extrêmes droites », en distinguant les modes d’action – politique, violent ou terroriste.