
Le coiffeur tunisien assassiné samedi faisait l’unanimité à Puget-sur-Argens, ville proche de Fréjus. Les habitants ne cachent pas leur colère contre des personnalités politiques qu’ils accusent d’alimenter un climat délétère, qui met directement en danger les musulmans.
L’ambiance est lourde mardi 3 juin à Puget-sur-Argens, ville de 8 000 habitant·es, limitrophe de Fréjus, où il vient de se passer l’impensable. Samedi 31 mai au soir, Hichem Miraoui, un coiffeur tunisien de 46 ans, a été abattu par son voisin Christophe Belgembe, un Français mû par des idées racistes. Il a également blessé à la main Afik B., un autre homme, turc, de 25 ans, qui a été hospitalisé.
« C’est fou, c’est en train de devenir un drame national, voire international, alors que c’est chez nous », constate Amine*, un quinquagénaire tunisien qui nous arrête au détour d’une pause dans un restaurant. « Ce mec, c’était une pâte. Une pâte », martèle-t-il de sa voix forte, pour décrire l’extrême bienveillance dont Hichem, son coiffeur depuis des années, savait faire preuve.
Quelques dizaines de mètres plus bas dans la rue, le salon de coiffure Facekoop où la victime travaillait est fermé. Une affiche a été placardée devant la grille tirée, annonçant la tenue d’une marche blanche, dimanche à 15 heures. (...)
Au pied de la vitrine, les bouquets de fleurs blanches s’amoncellent, achetés « surtout par des commerçants du coin », confie Charlotte, la fleuriste du petit centre-ville aux murs de crépi jaune. Des mots griffonnés dépassent des compositions : « Repose en paix, mon frère », « Hichem, on ne vous oubliera jamais », « Les ciseaux d’ange », « Qu’il repose en paix et que celui qui a fait ce geste pourrisse en enfer ».
Le coiffeur populaire
À en croire les rencontres que Mediapart a faites à Puget-sur-Argens, on pourrait croire qu’Hichem a coiffé tous les hommes de la ville, tant chacun semble le connaître. (...)
Ce deux-roues, Hichem a fini par l’acheter. C’est ce même véhicule qu’il aurait retrouvé tagué, quelques semaines avant sa mort, des mots « sale Arabe » ou « sale bougnoule », d’après Khaled*, la trentaine, qui se rappelle que le Tunisien ne serait toutefois pas allé porter plainte. La sœur d’Hichem, Hanen Miraoui, a elle aussi confié à l’AFP que son frère aurait « trouvé des mots racistes écrits sur sa Vespa, du genre “sale Arabe” », affirmant que Christophe Belgembe « était connu dans le quartier pour sa haine des Arabes ». Hichem vivait seul, et n’avait pas vu ses parents en Tunisie depuis près d’une décennie, d’après plusieurs proches.
Sur place, les rares habitant·es présent·es, visiblement excédé·es par les nombreuses sollicitations médiatiques, n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Sur le portail qui sépare l’entrée de ce « lotissement » de micro-habitations aux volets métalliques, des feuilles A4 ont été scotchées à la va-vite pour interdire la captation de photos et vidéos.
Le racisme sur toutes les lèvres
Jiorge aussi était un client d’Hichem. « Il était toujours souriant, serviable, soucieux de bien faire son travail… Pas un poil qui dépasse », explique l’ouvrier du bâtiment, qui nous accueille dans la fraîcheur de son salon. « Et pourtant, tu es difficile, il faut le dire ! », abonde sa femme Deborah, le regard rieur. (...)
À 80 ans, le maire Paul Boudoube, étiqueté divers droite, dirige Puget depuis quinze ans. « C’est un meurtre qui est complètement irrationnel dans la commune de Puget, qui a toujours entretenu des rapports sans tenir compte de quelconque motivation raciale », a-t-il relaté à France Info. Contacté, son cabinet a indiqué qu’il ne prendrait plus la parole, à l’exception d’un communiqué dans lequel il est écrit qu’« une piste à caractère raciste pourrait être envisagée. Cette hypothèse, aussi grave qu’inquiétante, doit être examinée avec toute la rigueur qu’elle impose ».
« Retailleau, c’est lui qui fait monter la cocotte-minute ». Un habitant du département
a motivation raciste du suspect Christophe Belgembe fait pourtant peu de doute. Mediapart a pu consulter les vidéos que le Français a publiées sur son compte Facebook avant et après son acte, dans lesquelles il affirmait notamment qu’il fallait « tuer les Arabes », « se révolter et tirer sur la population maghrébine », et disait « prêter allégeance au drapeau français ».
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Parmi la dizaine d’habitant·es du département interrogés mardi, tous et toutes ont mentionné la situation politique en France, et notamment le département du Var, largement acquis au RN. « Il y a beaucoup de racistes ici », lâche sans filtre un conducteur de bus d’une ligne de Fréjus. « Mais Retailleau, c’est lui qui fait monter la cocotte-minute », continue un passager.
« La situation est dramatique », appuie Sacha Halgand, membre d’une délégation de SOS Racisme qui s’est déplacée spécialement dans le Var. Il dénonce la « mollesse avec laquelle Bruno Retailleau a condamné l’extrême droite ». Mardi soir, le ministre de l’intérieur ne s’était toujours pas déplacé à Puget-sur-Argens ; mais il s’est rendu à l’ambassade de Tunisie et s’est dit « disponible » pour rencontrer la famille d’Hichem.
Sacha Halgand rappelle également que le ministre de l’intérieur, chargé des cultes, s’est exclamé il y a deux mois : « À bas le voile ! » « Quand vous dites ça, évidemment que ça a des conséquences dans l’espace public. Ça vient travailler les gens. Il est censé garantir la sécurité de toutes et tous. Aujourd’hui les gens se font tuer parce qu’arabes. »
Rappelant qu’il s’agit de la première fois que le Parquet national antiterroriste (Pnat) se saisit après un meurtre perpétré par un auteur proche de l’extrême droite, Khaled insiste également sur le caractère systémique des récentes attaques islamophobes : « S’il n’y avait pas eu la mort d’Aboubakar Cissé dans une mosquée, jamais le parquet antiterroriste ne se serait saisi, suppute-t-il. Ils auraient dit que c’est juste un coup de folie. »