Ce billet est consacré aux différentes facettes de l’offensive trumpiste du ministre en charge de l’Enseignement supérieur et de la recherche : nous dévoilons un questionnaire de fichage politique conçu par le ministère, en violation frontale de toutes les libertés individuelles ; nous revenons sur l’annulation du colloque au Collège de France pour en tirer les leçons ; enfin, nous attirons l’attention sur l’attaque la plus grave contre la liberté académique : les COMP à 100%.
(...) Pseudo-science et fichage politique trumpien
Il ne fait guère de doute que M. Baptiste donne des gages au Rassemblement National par anticipation d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite : après les attaques contre la liberté académique analysées ci-dessous, le voilà qui s’en prend aux libertés individuelles en demandant à la bureaucratie du supérieur de collaborer à un fichage politique des universitaires et des étudiants. L’envoi d’un questionnaire politique à des agents du service public est une première : il viole le principe de neutralité institutionnelle. Ce sondage pseudo-scientifique, qui essentialise des catégories racistes, est totalement illégal (...)
- Le questionnaire collecte des données sensibles et identifiantes, ce qui pose un risque majeur en termes de protection des données personnelles. En effet, le questionnaire permet la réidentification des répondants par l’organisme collecteur, en violation des normes éthiques et du règlement général sur la protection des données (RGPD). L’anonymat des participants n’est pas garanti car ces derniers peuvent être ré-identifiés par le croisement de variables (...)
- Les données sont stockées sur un cloud non souverain, ce qui expose les informations sensibles à des risques d’accès par des acteurs étrangers — ici, les services étatsuniens, via Google. Le CNRS interdit ce type de pratiques. L’usage du Cloud Google pour des données relatives à la fonction publique est en outre contraire aux préconisations de l’ANSSI en matière de cyber-sécurité.
- Le consentement des participants n’est pas librement obtenu, car le questionnaire est diffusé via les établissements, à la demande du ministre, ce qui constitue une pression implicite sur les répondants.
- Le questionnaire est également adressé aux personnels administratifs, qui sont tenus à une obligation de réserve. Le positionnement sur une échelle droite-gauche les place dans une situation de conflit avec leurs obligations professionnelles.
- Un sondage en ligne est sujet à toutes les manipulations.
Ce sondage Baptiste-IFOP ne se contente pas d’ignorer les obligations légales de la recherche en matière de données sensibles, il piétine aussi toutes les normes méthodologiques des enquêtes en sciences humaines et sociales. Le combat contre l’antisémitisme est un combat juste. Les actes antisémites ont augmenté partout dans la société et les établissements universitaires, à l’image de la société, ne sont pas épargnés. Les assignations identitaires essentialistes, le suprémacisme, les fondamentalismes, le retour de théories pseudo-scientifiques d’une « hiérarchie des races » sont insupportables. Les combattre suppose, à l’Université, de prendre appui sur des travaux savants, sur la rigueur, sur l’exigence, sur la disputatio et sur l’éducation. Le sondage Baptiste-IFOP n’est pas une enquête scientifique. Ce n’est qu’un alibi pour une nouvelle attaque maccarthyste contre l’Université (...)
Vu la gravité des atteintes aux libertés individuelles, qui s’ajoutent aux attaques contre la liberté académique, nous demandons le retrait immédiat de ce sondage. Nous appelons les établissements à ne pas relayer ce sondage et recommandons à la communauté universitaire de ne pas y répondre.
RogueESR est un collectif créé en 2017 pour promouvoir une université et une recherche libres, exigeantes et placées au service de l’intérêt général et de l’émancipation, a contrario de la politique menée par le gouvernement actuel.
« Rogue » implique la révolte ; ce qualificatif fut notamment adopté aux États-Unis par des personnels des agences fédérales scientifiques (NASA, EPA, NOAA, etc.) en résistance aux politiques de Trump, à l’occasion de la march for science.
Originaires de toutes les régions, nous travaillons dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), dans des disciplines variées et avec des statuts différents. Nous ne représentons pas les institutions de l’ESR, mais nous espérons rassembler celles et ceux qui les font vivre au quotidien.