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Trois ans après l’arrivée des talibans, "repartir à zéro" en France pour une exilée afghane
#afghanistan #migrantes #immigration #exilees
Article mis en ligne le 18 août 2024
dernière modification le 16 août 2024

En Afghanistan, trois ans après le retour des talibans au pouvoir, les femmes continuent de subir des discriminations à travers des restrictions draconiennes. Enfermées entre quatre murs, les filles et les femmes âgées de plus de 12 ans n’ont toujours pas accès à l’éducation ni au travail. Selon l’Unesco, 1,4 million de filles sont privées de scolarité et leur espoir d’accéder à l’éducation est réduit à néant. Hafsa Hakim, 28 ans, qui enseignait l’informatique avant l’arrivée des talibans, a été contrainte à l’exil. Avec quatre autres femmes, elle a été exfiltrée vers la France du Pakistan, où elle avait trouvé refuge. Installée depuis en région parisienne, elle essaye de reconstruire sa vie.

(...) Je viens de l’Est et la France est un pays de l’Ouest. Nous avons une culture très différente, même l’humour est différent ! Mais l’important, c’est qu’il y a une volonté des deux côtés de communiquer et de jeter un pont entre l’Est et l’Ouest et j’en suis très reconnaissante.
Depuis votre départ d’Afghanistan, la situation des femmes s’est davantage dégradée. Racontez-nous votre expérience et la raison qui vous a poussée à fuir le pays ?

Je suis très triste en pensant aux femmes afghanes. Je suis toujours en contact avec certaines d’entre elles et je m’inquiète pour leur avenir, car ce n’est pas facile de rester enfermée à la maison, de ne rien pouvoir faire et de ne pas pouvoir se projeter dans l’avenir. C’est une situation qui ne peut laisser personne indifférent.

Avant l’arrivée des talibans, j’étais professeure d’informatique dans une école privée à Kaboul. Lorsqu’ils ont pris le pouvoir, j’ai perdu mon emploi et commencé à enseigner l’anglais clandestinement. On organisait différentes activités comme des clubs de lecture ou des cours de conversation. (...)

Lorsque les talibans ont pris connaissance de ces cours, ils m’ont sommé d’arrêter. J’ai d’abord résisté, mais s’en sont ensuivi des menaces de mort ou d’emprisonnement. J’ai continué malgré tout. Mais un jour, ils ont menacé de tuer mes étudiantes. J’ai alors décidé d’arrêter les cours, ce qui n’a pas mis un terme à leurs menaces. Les talibans m’ont par la suite interdit de sortir de chez moi et de communiquer avec mes élèves. La situation n’a cessé d’empirer jusqu’au jour où j’ai décidé de partir.

Ces cours clandestins ont commencé grâce à deux sœurs, Shugufa et Yalda, des femmes talentueuses qui voulaient apprendre l’anglais. Ces cours étaient dispensés avant leurs classes de couture et les filles qui venaient apprendre à coudre ont voulu aussi que je leur enseigne la langue, ce que j’ai bien sûr accepté avec plaisir. Au début, il n’y avait que cinq élèves, le groupe s’est agrandi à une vingtaine d’étudiantes. On organisait les cours à 7h du matin, avant les cours de couture et cela se passait dans l’espace souterrain d’une école privée.
Malgré l’application très stricte de la charia à l’encontre des femmes, pensez-vous que d’autres femmes opposent, comme vous, une résistance aux fondamentalistes ?

Je pense que chaque Afghane responsable accomplit sa part dans l’éducation de nos jeunes filles. Malgré les restrictions des talibans, l’enseignement ne s’est pas arrêté et les jeunes femmes tout juste diplômées continuent d’enseigner diverses matières aux jeunes filles, en particulier l’anglais, car cela leur ouvre des portes pour poursuivre leur éducation dans un autre pays.

J’ai une amie qui donne des cours depuis l’étranger en essayant de recruter des femmes afghanes. Je connais aussi Hamida Aman, une Afghane qui vit depuis longtemps en France et qui a créé une radio et une télévision qui dispense des cours de mathématiques, de chimie et biologie ou d’histoire aux femmes et aux filles privées d’éducation en Afghanistan. Ces programmes enseignent aussi l’anglais et je trouve que c’est très important, car sans connaissance des langues étrangères, ces femmes n’ont aucun espoir. (...)

Il faut savoir que les postes d’enseignants étaient surtout pourvus par des femmes. Lorsqu’elles ont été poussées à la démission, de nombreux postes sont restés vacants, y compris à l’université. Les jeunes gens se sont retrouvés, soit sans instituteurs, soit avec des professeurs masculins non qualifiés.

L’économie aussi ne cesse de se dégrader. Lorsque les femmes ont été licenciées de leurs postes, parfois dans des ministères ou à la tête d’entreprises, les talibans leur ont proposé de les remplacer par leur mari ou leur frère. C’est une démarche totalement absurde ! (...)

Autre exemple, je me souviens d’un reportage qui montrait un jeune diplômé en informatique qui, étant incapable de trouver un travail sous le régime des talibans, a fini comme vendeur de rue. Les talibans l’ont frappé, ont détruit son chariot. Ils ne laissent pas les gens s’en sortir, ils leur imposent de vivre dans la misère.
Pensez-vous que vous pourrez un jour retourner en Afghanistan, dans un pays libre ou les hommes et les femmes pourront vivre égaux en droits ?

La plupart de mes amis qui ont eu la chance de pouvoir quitter l’Afghanistan n’arrivaient pas à accepter les règles stupides imposées par les talibans à toute la population, pas uniquement aux femmes. Ils se sont installés aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne et nous avons tous le même destin, nous luttons pour nous reconstruire en repartant de zéro. (...)

Je rêve de pouvoir retourner un jour dans mon pays, d’y retrouver ma famille et mes amis. (...) (...)