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Traité mondial sur le plastique : « Il faut baisser la production de 75 % »
#plastique #pollution #ONU
Article mis en ligne le 28 novembre 2024
dernière modification le 25 novembre 2024

Les Nations unies se réunissent jusqu’au 1ᵉʳ décembre à Busan, en Corée du Sud, pour tenter d’aboutir à un traité sur la pollution plastique. Henri Bourgeois-Costa, de la Fondation Tara Océan, plaide pour un texte ambitieux.

175 pays, plus de 2 000 négociateurs et observateurs, 7 jours de discussions… Après Bakou et la COP29, toute l’attention se tourne cette semaine vers Busan, en Corée du Sud. S’y déroule un autre sommet crucial pour l’avenir de notre planète, celui devant aboutir à un Traité international sur la pollution plastique.

Si rien n’est fait, la production de plastique triplera d’ici à 2060, selon l’OCDE. La Fondation Tara Océan, qui travaille depuis des années à sensibiliser grand public et décideurs sur l’ampleur du fléau que représente la pollution plastique, sera présente à Busan. Henri Bourgeois-Costa, son directeur des affaires publiques, a répondu à nos questions avant son départ pour la Corée du Sud. (...)

Henri Bourgeois-Costa — Pour le moment, on a un brouillon de texte — un « draft » — issu de la précédente session de négociations à Ottawa. Ce document énorme comprend un peu toutes les options possibles puisque l’essentiel du texte ne fait pas l’objet d’un accord, et présente donc des visions assez radicalement opposées entre, d’un côté, les pays de la coalition de Haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique [1] et, de l’autre, les « Like minded countries » (« les pays qui pensent pareil »), représentant les intérêts pétroliers. On est donc face à un texte qui dit un peu tout et son contraire.

Le président du comité, Luis Vayas Valdivieso, a tenté de proposer une nouvelle voie avec ce qu’il a appelé un « non-paper », c’est-à-dire un document dans lequel il a essayé de synthétiser les choses et de poser les fondamentaux de ce que pourrait être un texte. Mais il l’a fait sans mandat particulier. Ainsi à Busan, les discussions se feront soit sur le texte officiel, soit à partir de ce « non-paper ». Mais certains États pourraient très bien demander à ce que ce dernier soit jeté à la poubelle, puisque officieux.

Que pensez-vous de ce « non-paper » sur le fond ?

Nous sommes beaucoup d’ONG, mais pas uniquement, à souligner son manque d’ambition (...)

Un consensus semble impossible en l’état des positions.

Par nature, il ne peut pas y en avoir. Mais je ne pense pas qu’il faille en tirer une conclusion négative. Quand il y a consensus, soit on se retrouve avec des textes ambitieux, mais pas forcément déclinables sur le terrain parce que l’application est laissée au bon vouloir de chacun, soit on aboutit à un texte contraignant, mais dont l’ambition est extrêmement faible. On imagine difficilement que des États dont l’économie est 100 % basée sur le pétrole ou quasiment — je pense aux pays du Golfe en particulier — signeraient un texte ambitieux.

Pour nous, embarquer l’ensemble des pays n’est pas forcément une finalité en soi. L’enjeu, c’est d’embarquer les pays qui sont pertinents, structurants sur la question des pollutions plastiques, à savoir les pays occidentaux qui entraînent cette consommation. Et puis aussi la Chine. (...)

Quant aux États-Unis, ils nous ont apporté une énorme bouffée d’espoir juste avant les élections, avec un vrai changement d’attitude de l’administration et des négociateurs, et des prises de parole très encourageantes. Désormais, la proximité du futur président avec les intérêts de la pétrochimie risque clairement de nous compliquer les choses. (...)

’une politique qui serait axée uniquement autour du recyclage et de l’amélioration de la collecte n’apporterait pas du tout de résultats suffisants. Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat [limiter la hausse des températures bien en dessous de 2 °C], elle évalue qu’il faudrait baisser la production de 75 %.

Plusieurs hypothèses économiques montrent que 50 % de réduction de la production serait déjà tout à fait possible à atteindre, ne serait-ce parce que notre production a complètement explosé. Le Pérou et le Rwanda se sont fixés un objectif de réduction de 40 % à l’horizon 2040. Ce sont les seuls qui ont posé un élément chiffré pour bousculer un peu la discussion, à Ottawa. 40 % de réduction d’ici 2040, c’est revenir à la production de l’année... 2015. Nous appuyons cette proposition, non pas qu’elle soit satisfaisante en elle-même, mais elle nous semble un point de départ intéressant de discussion.

Que craignez-vous si aucun accord n’était trouvé ?

Notre grande crainte, c’est plutôt qu’on se laisse piéger par la tentation d’un texte à tout prix. Le secrétariat des Nations unies nous donne des signes un peu inquiétants d’une volonté allant dans ce sens. Or, un traité arraché à Busan risque d’être un peu pauvre, de ne pas traiter la problématique tout au long de la chaîne, de l’extraction pétrolière jusqu’au consommateur. (...)

Aujourd’hui, toutes les hypothèses sont encore sur la table (...)

Lire aussi :

 Seenthis/cdb_77, géographe & citoyenne engagée
#Plastique, l’#escroquerie du #recyclage

La fin de l’âge du fer ? Au début des années 1960, scientifiques et plasturgistes prédisent que les progrès fulgurants dans la fabrication des #polymères permettront aux plastiques de détrôner métaux, verres et bois sur le podium des matériaux dominants. Chacun s’extasie. Le sémiologue Roland Barthes qualifie en 1957 le produit de la distillation du pétrole de « substance alchimique », de « matière miraculeuse ». Un an plus tard, le poète Raymond Queneau succombe au chant du styrène et à l’esthétique des « innombrables objets au but utilitaire » appelés à surgir du naphta, ce liquide provenant du raffinage à partir duquel se fabriquent l’essentiel des plastiques (1). Au XXIe siècle, les plastiques écrasent effectivement la concurrence. Entre 1950 et 2015, le secteur pétrochimique en a produit plus de 8 milliards de tonnes, surtout au cours des vingt dernières années, et l’accélération se poursuit (2). (...)

Après l’extase, l’effroi : soixante-dix ans plus tard, 350 millions de tonnes de déchets plastiques se déversent chaque année sur le monde. La pollution qu’ils engendrent fait peser sur les vivants et non-vivants une menace aussi lourde que documentée (3). On boit, on mange, on respire du plastique. Pour faire face à ce cataclysme synthétique, les industries pétrochimiques promeuvent sans relâche une solution selon elles miraculeuse : le recyclage (...)

En 2019, Matignon fixe un objectif stratosphérique : 100 % des déchets plastiques nationaux recyclés en 2025. La méthode ? Rendre les industriels responsables du destin des objets polymères qu’ils produisent. L’approche française s’inscrit dans la droite ligne de celle impulsée par la Commission européenne : obligation faite aux États membres depuis 2021 d’interdire les plastiques à #usage_unique et d’utiliser au moins 30 % de matériaux recyclés dans les #bouteilles plastifiées ; recyclage en 2030 de 55 % des déchets d’#emballages plastiques (5).

Alléchés, les industriels européens ne tardent pas à communiquer sur des #technologies « novatrices » ajustées à la nouvelle législation européenne. En 2022, les chimistes #BASF et #Borealis, l’emballeur #Südpack et le laitier bavarois #Zott claironnaient la mise au point d’un prototype d’emballage multicouche de mozzarella entièrement réalisé en nylon et polyéthylène recyclés. Mais ces « projets-pilotes » largement médiatisés représentent une goutte d’eau dans l’océan des ambitions politiques. D’autant qu’en période d’#austérité les #investissements d’infrastructure nécessaires à la collecte et au #tri des #déchets plastiques se trouvent rarement en tête des priorités, tant en Europe qu’aux États-Unis. D’où ces révélations aussi spectaculaires que banales, comme celle qui épouvanta l’été dernier Mme #Brandy_Deason, habitante de Houston, au Texas : quelques jours après avoir placé un traceur dans ses déchets plastiques destinés au conteneur recyclage, elle les géolocalisa non pas dans un centre de traitement dernier cri, mais dans une décharge géante à ciel ouvert (6).

Ce cas extrême met en évidence le poids des considérations économiques dans l’#échec du recyclage. (...)

Dans un monde guidé par la boussole du calcul coût-avantage, pourquoi les industriels et les distributeurs européens privilégieraient-ils des produits recyclés plus chers que le neuf ? (...)

Mais la grande escroquerie du recyclage réside ailleurs : le procédé n’a jamais été viable, ni techniquement ni économiquement ; les industriels le savent de longue date, mais jouent avec succès sur la corruptibilité des pouvoirs et la crédulité du public. (...)

Autre difficulté de taille : les plastiques se dégradent à chaque #réutilisation et ne peuvent donc être réemployés qu’une fois ou, plus rarement, deux fois. Faute de quoi non seulement leurs propriétés se dénaturent, mais leur #toxicité peut s’accroître.

La filière pétrochimique n’a jamais rien ignoré de ces obstacles structurels. Pour désarmer la mobilisation qui enfle contre les décharges à ciel ouvert ou la mode du jetable, et éviter le risque d’une réglementation trop contraignante, elle adopte au milieu des années 1980 l’idée du recyclage. (...)

comme le déclarait un employé d’Exxon au personnel de l’American Plastics Council (APC) : « Nous sommes engagés dans les activités de recyclage des plastiques, mais nous ne sommes pas tenus à des résultats. »

Depuis quarante ans, l’« #engagement » consiste en une série de #campagnes de #désinformation et d’#enfumage sur les #mirages du recyclage. Elles mobilisent tantôt les #multinationales de la #pétrochimie, leurs associations professionnelles, leurs fondations, tantôt leurs multiples groupes de façade. (...)

Des millions de dollars gonflent les caisses des agences de communication pour vendre la « solution » et riveter dans les consciences les mots : « modernité », « #innovation_technologique », « #efficacité », « engagement », « approche intégrée pour la gestion des plastiques », « avantage économique », etc. L’industrie chante désormais les vertus du « #recyclage_avancé », un procédé d’#incinération ou de #dégradation_chimique, plus polluant que la méthode classique, et qui ne produit que 1 à 14 % de matière réutilisable.

Les pétrochimistes ont gagné leur bataille (...)

En 2022, le procureur général de Californie a lancé, sur la base du rapport du CCI, une enquête ciblant les fabricants « pour leur rôle dans la crise globale de la #pollution_plastique ». Mais quel tribunal international mettra l’humanité à l’abri de leur conduite criminelle ?