
Voilà un constat affligeant mais nécessaire : sur le plan politique, les enfants sont de plus en plus délaissés et déconsidérés, ce qui contribue à installer des situations de maltraitrance tout à fait odieuses. Dès lors, que faire en termes de pratiques et d’engagement ? Comment faire face ? Petits retours de terrain
Arrêtons de tergiverser ; ça va de mal en pire. Et on se fout tout simplement de notre gueule.
Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? Qu’est-ce qu’on peut encore tolérer ?
Malgré toutes les tentatives pour détourner le regard, un constat insiste, sinistrement : l’enfance, les enfants, sont de plus en plus délaissés au niveau social et politique…Le mal-être infantile qui en résulte prend des formes très diverses, témoignant à la fois d’une indignation, d’un appel, mais aussi d’une souffrance absolument tragique et négligée. Pourtant, les indicateurs sont là, les chiffres parlent d’eux-mêmes dans leur froide objectivité. Et, au-delà des statistiques officielles, les modalités de ce délaissement s’incarnent, concrètement, dans des réalités abjectes : enfants à la rue, enfants suicidaires, enfants maltraités, enfants écrasés, enfants sacrifiés, enfants révoltés…
Des émeutes en passant par les services de pédopsychiatrie, la détresse infantile s’exprime par soubresauts et convulsions, dans une certaine indifférence sociale et politique. De fait, on préfère médicaliser, pseudo-sociologiser, pour ne pas politiser… Alors même que toutes les institutions en charge de l’enfance sont en souffrance, de l’école, en passant par la justice des mineurs, l’Aide Sociale à l’Enfance, les structures d’accueil de la petite enfance, la pédopsychiatrie…
Mais comment comprendre un tel scandale dans une société qui se gargarise de bienveillance inclusive, de bons sentiments et de souci pour l’avenir ? Indéniablement, la façon dont nous traitons nos enfants témoigne de l’ethos de nos organisations collectives contemporaines… la figure de l’enfant cristallise effectivement des représentations et des affects particulièrement révélateurs des cadres normatifs implicites à l’œuvre sur le plan institutionnel – et ce d’autant plus qu’il s’agit de considérer les « déviances infantiles ». (...)
Des années de combat, de mobilisations, de démarches, de luttes pour garantir les droits…en dépit de certaines avancées - par exemple une régularisation administrative - aucune orientation en institution spécialisée ne se profile, malgré toutes les sollicitations menées depuis maintenant 6 ans - dont le Défenseur des Droits.
En dépit des soins intensifs (orthophonie, psychomotricité, prise en charge éducative, groupe), les évolutions restent significatives, mais parcellaires. On sent bien qu’on pourrait aller plus loin.
L’école est alors obligée de se transformer en institution thérapeutique. L’enseignante se mobilise pour se former, pour trouver du matériel spécifique, pour proposer une pédagogie différenciée…
Néanmoins, la classe n’est pas un lieu de soin, même si cela permet de faire de belles économies légitimées par de belles idées. A l’idéalisation succède la désillusion…les personnes qui doivent accompagner ne sont pas toujours là, leur précarité favorisant la discontinuité de leur investissement. Dès lors, les conditions d’inclusion scolaire se dégrade (...)
Par ailleurs, nous sommes informés qu’« un numéro de téléphone a été mis en place pour les personnes en situation de handicap. Il s’agit du dispositif « la communauté 360 », qui a pour mission d’accompagner et de mettre en relation avec la MDPH, les établissements et services médico-sociaux, l’hôpital, les professionnels de santé de ville, les associations de personnes, l’école, les entreprises, la mairie, les services publics ». La vache ! En appelant ce numéro, les parents « seront mis en relation avec un conseiller de parcours qui se chargera de rechercher une solution aux difficultés qu’ils rencontrent ».
Hallelujah, Larry sera donc sauvé par l’intercession miraculeuse d’un gestionnaire de filières ; il n’y a plus qu’à espérer que ce coordinateur soit une sorte de Dumbledore avec des pouvoirs susceptibles de conjurer le maléfice des pénuries instituées…là où la plèbe des professionnels de terrain s’épuise en vain depuis des années. En tout cas, grâce à ces innovations organisationnelles, on va bien trier, manager, réorienter réadapter, rentabiliser, mettre en flux, en fumée, et faire disparaitre, à nouveau…Abracadabra ! Applaudissez ! Au suivant !
Quelques temps plus tard -plusieurs mois en fait…-, c’est la direction de l’autonomie à l’ARS qui se targue d’une réponse, exprimant « sa sensibilité à la complexité des parcours de vie des personnes en situation de handicap et de leur famille », mesurant « l’inquiétude concernant la prise en charge de ce jeune » et comprenant « la préoccupation pour qu’un accompagnement adapté soit mise en place ». S’en suit alors une longue page de publicité assez indécente pour vanter tous les dispositifs mis en place au niveau régional, conformément à la politique menée par le gouvernement, avec une « stratégie innovante de développement et de transformation de l’offre grâce à une mobilisation de ressources sans précédent », se donnant pour priorité de « faire émerger rapidement des propositions d’accompagnement variées et inclusives »…
Mais l’ARS va encore plus loin, car « le Président de la République a annoncé, durant la Conférence Nationale du Handicap d’avril 2023, un plan ambitieux de développement de solutions nouvelles, pluriannuel »…Dans la suite du courrier, nous sommes informés du « contrôle des établissement et services médico-sociaux », et de l’absence de compétence en termes d’orientation des personnes, cette prérogative étant l’apanage de la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées, chaque organisme gestionnaire étant souverain quant aux procédures d’admission. Enfin, on nous vante à nouveau la « communauté 360 »…Heu, quelqu’un leur a-t-il expliqué que quand on tourne de 360°, on revient au même point, dans la même direction ? (...)
Voilà donc ce que, dans la réalité, on fait subir aux enfants en situation de handicap : une maltraitance administrative et politique, qui les gère comme un dossier que l’on transfère, un cas à caser, un numéro à enregistrer, un problème à évacuer, une vulgaire statistique, du bruit… (...)
l’État préconise par exemple de "favoriser les pratiques innovantes", de "se doter d’une stratégie de recherche basée sur les preuves et à partir des besoins de l’enfant", de "créer un choc d’attractivité", de mettre en place "un « Bilan de santé mentale » à l’entrée au collège et revaloriser le forfait « MonPsy »", de "transformer les PMI pour mailler le territoire de Maisons des 1000 jours et de l’enfant", de soutenir "le développement de plateformes innovantes technologiques et thérapeutiques adaptées aux spécificités de l’enfant"....Décidément, ils planent totalement dans leur sphère de suffisance et leur délire managériale. (...)
Ces constats sont affligeants, en termes de délaissement et d’hypocrisie…Et, toute proportion gardée, ils sont également à mettre en lien avec d’autres réalités absolument horrifiantes concernant la situation contemporaine des enfants. Ainsi, la dimension généralisée de la pédocriminalité commence à se faire entendre, à travers par exemple des documentaires tels que « Pédocriminels, la traque » de Laetitia Ohnona, ou encre l’ouvrage « Derrière l’écran » de Véronique Béchu, cheffe du pôle stratégie de l’Office mineurs (OFMIN).
Ces témoignages nous permettent, non sans effroi, d’effleurer les tréfonds de l’humanité, en termes de violence, de domination, de perversité, etc., d’appréhender « les atrocités toujours plus folles qu’un être humain peut imposer à un autre » en situation de vulnérabilité. (...)
En lisant le quotidien des policiers œuvrant pour défendre des enfants sacrifiés, torturés, on réalise que tous les flics ne sont pas des bâtards, mais que nos dirigeants sont définitivement condamnés à s’abâtardir s’ils persistent dans le silence et l’ignominie.
Contre cela, il faut oser pointer l’insoutenable et s’extraire des conforts aveugles. (...)