
Les organisations Refugees in Libya et Front-LEX ont déposé fin mai un recours afin que l’agence de protection des côtes européennes, Frontex, cesse sa surveillance aérienne de la Méditerranée centrale. Ses activités de géolocalisation permettent aux Libyens d’intercepter les canots de migrants en mer et de les ramener en Libye. Aux yeux des plaignants, Frontex se rend donc complice des crimes commis par le pays (détention arbitraires de migrants, meurtres, tortures, viols...).
Frontex à nouveau dans la tourmente. Cette fois-ci, ce sont les avions de l’agence qui sont dans le collimateur de deux organisations, Front-LEX et Refugees in Libya, représentant elles-mêmes un Soudanais darfouri de 29 ans coincé en Libye, et dont l’identité est gardée secrète.
L’homme, appelé "XY" dans le communiqué, est arrivé en Libye en 2019. Il est enregistré en tant que "demandeur d’asile" au Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), mais il n’a pas accès à une procédure d’asile et protection efficace. XY est donc coincé dans le pays où il risque d’être arbitrairement détenu et soumis à des violences. Pour fuir "l’enfer libyen", XY sait qu’il devra traverser la Méditerranée à la recherche d’un abri en Europe. "Mais les opérations de refoulement systématiques, conjointement exécutés par Frontex et des entités libyennes, menacent directement sa quête de sécurité", écrivent les deux organisations qui le représentent. (...)
Front-LEX et Refugees in Libya évoquent ici la présence des avions de Frontex au-dessus de la Méditerranée, qui repèrent les canots en difficulté puis envoient leur géolocalisation aux autorités libyennes - à l’heure où les preuves de traitements inhumains et dégradants des exilés dans le pays s’accumulent (détention arbitraire, meurtres, tortures, viols...) depuis des années. (...)
Les deux plaignants demandent concrètement au directeur exécutif de Frontex, Hans Leijtens, de mettre fin à ses activités de surveillance aérienne. (...)
La procédure pourrait aboutir au dépôt d’une plainte formelle devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). "[...] Si, dans les deux mois suivant la présente communication, Frontex ne voulait pas définir sa position, ou refuse de suspendre ou de mettre fin aux communications avec les entités libyennes, Front-LEX et Refugees in Libya intenteraient une action [en justice]", lit-on encore dans le communiqué. (...)
Frontex et les Libyens travaillent en coopération depuis des années. Dans une enquête publiée le 10 février, le média allemand Der Spiegel a même mis en évidence cette intense collaboration. (...)
Ce soutien de Frontex aux Libyens n’est pas illégal. L’Union européenne (UE) et Tripoli sont liés par un partenariat stratégique et financier en mer Méditerranée depuis de nombreuses années. En mars 2023, le Conseil européen a renouvelé pour deux ans son soutien pécuniaire et matériel aux autorités libyennes. Dans le cadre de cet accord, l’UE forme les garde-côtes libyens et leur fournit des navires dans le but d’empêcher les migrants de rejoindre l’Europe. (...)
Pourtant, soulignent les deux organisations, Frontex a aussi l’obligation de faire respecter les droits de l’Homme partout où elle intervient - conformément à l’article 46, paragraphe 5, de son règlement. Pour Front-LEX et Refugees in Libya, l’aide de Frontex aux Libyens est donc paradoxale : depuis des années, les violences des garde-côtes libyens envers les exilés et les tortures infligées aux migrants dans les centres de détention du pays ont été maintes fois documentées. (...)
Les associations humanitaires dénoncent régulièrement un manque de transparence de la part de Frontex et pointent du doigt son absence de coopération avec les navires de sauvetage des ONG en Méditerranée. Pis, elles dénoncent le mutisme de l’agence.
Le drame de Pylos (...)
Fin 2022, Human Rights Watch avait aussi publié un rapport qui accusait Frontex de "complicité" avec les autorités libyennes pour faciliter l’interception de migrants en mer puis les abus subis à leur retour forcé en Libye. (...)