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Mediapart
Sur le conflit israélo-palestinien, la Cour pénale internationale joue son avenir
#Israel #Hamas #Palestine #Gaza #Cisjordanie #CPI
Article mis en ligne le 24 décembre 2023
dernière modification le 22 décembre 2023

Après huit ans d’immobilisme, les États dits du « Sud global » attendent que l’enquête dans les territoires palestiniens avance. Pointée du doigt pour sa lenteur et accusée d’être sous l’influence des États-Unis, la CPI doit œuvrer dans un contexte de défiance.

Depuis lundi, la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU a été repoussée trois fois. L’enjeu des discussions en cours est de taille : le vote à l’unanimité d’un cessez-le-feu à Gaza, jusque-là bloqué par les États-Unis, seul membre permanent qui s’y était opposé jusqu’à présent, alors que le dernier bilan fait état de 20 000 personnes tuées par Israël depuis le 7 octobre.

Si l’urgence est à l’arrêt des combats et à l’aide humanitaire pour les deux millions de civils coincés dans la bande de Gaza, beaucoup d’ONG anticipent déjà le moment où des généraux ou des représentants de l’armée israélienne devront rendre les comptes d’une riposte israélienne qu’elles qualifient de crime de guerre, de crime contre l’humanité, voire, pour certaines, de crime de génocide.

« Aujourd’hui, toutes les preuves sont entre les mains de la Cour pénale internationale (CPI) », estime Emmanuel Daoud, avocat de trois ONG palestiniennes (le Centre palestinien pour les droits de l’homme, Al-Haq et Al Mezan) qui ont déposé le 9 novembre une plainte visant plusieurs hauts dirigeants israéliens, dont le premier ministre Benyamin Nétanyahou et le président Isaac Herzog. Ces ONG les accusent notamment d’« intention génocidaire », d’« incitation au génocide », de « crimes contre l’humanité » et de « crimes de guerre » découlant directement de leurs ordres donnés à l’armée israélienne à Gaza après les attaques du Hamas du 7 octobre.

Une plainte de familles israéliennes a également été déposée contre le Hamas pour crime de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. (...)

« Je n’explique pas pourquoi la CPI n’agit pas plus rapidement », explique Emmanuel Daoud. Selon lui, les preuves fournies, comme les vidéos tournées sur place, sont incontestables.

L’avocat français est aussi celui qui avait plaidé le dossier ukrainien devant la CPI aboutissant, en mars 2023, et après une enquête de seulement quelques mois, à l’émission d’un mandat d’arrêt international contre le président russe Vladimir Poutine. La preuve principale : un décret signé de sa main permettant la naturalisation d’enfants ukrainiens. (...)

Depuis sa création en 2002, la CPI n’a prononcé que cinq condamnations pour des crimes internationaux pour une cinquantaine de mandats d’arrêt émis, toutes à l’égard de responsables africains de second rang. Certaines enquêtes sont en cours depuis plus de dix ans, comme celles sur l’Afghanistan et le Darfour.

Le dossier palestinien, lui, a été ouvert en 2019, après cinq ans d’enquête préliminaire sur la définition des territoires dont la CPI a compétence. L’investigation elle-même, qui concerne tous les crimes présumés des forces israéliennes à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est depuis 2014, n’a réellement commencé qu’en 2021, à la fin du mandat de l’ancienne procureure générale, Fatou Bensouda. (...)

« Justice des puissants »

Derrière les investigations sur d’éventuels crimes de guerre, se jouent, sur ce dossier précis, la crédibilité de la CPI et l’adhésion des États dits du « Sud global » au Statut de Rome (qui crée et reconnaît la compétence de la CPI). Celui-ci réunit 123 États, dont la majorité des États du continent africain, autour d’un idéal de justice internationale. Si l’enquête sur les crimes de guerre en Palestine continue de piétiner, le risque serait celui d’un retrait pur et simple de certains États au Statut. (...)

En filigrane de leurs inquiétudes : la crainte de voir les États-Unis, pourtant non membre de la CPI, influencer les enquêtes en cours. (...)

Sur le dossier palestinien, les États-Unis se sont toujours opposés à la compétence de la Cour sur la puissance israélienne, qui n’a pas ratifié le Statut de Rome. Cette attitude vient renforcer la position d’Israël qui a toujours refusé de collaborer avec les enquêteurs de la CPI – ce qui entrave fortement le déroulement des investigations, notamment celles sur les violences commises par des colons israéliens en Cisjordanie.

Pourtant, ce sont aussi les États-Unis qui ont fait pression pour que la Cour juge les crimes commis par la Russie en Ukraine, alors même qu’aucun des deux États n’a ratifié le Statut de Rome. (...)

Le paradoxe est sensiblement le même pour les États arabes qui demandent unanimement des comptes à la juridiction internationale, alors que l’écrasante majorité d’entre eux ne reconnaissent pas sa compétence sur leur propre territoire et, en conséquence, ne participent pas financièrement à son fonctionnement. Seuls cinq des 22 membres de la Ligue arabe ont ratifié le Statut de Rome (Djibouti, Tunisie, Comores, Jordanie et Palestine).

Aujourd’hui, Karim Khan semble lucide sur la nécessité de traiter le dossier palestinien afin de prouver l’indépendance de la seule juridiction capable de juger les crimes commis par l’armée israélienne. (...)

Ses moyens d’action dépendront aussi de l’argent dont il disposera pour mener à bien ses investigations. Car le fonctionnement de la CPI dépend des subventions occidentales, notamment de certains États formellement opposés à cette procédure – comme le Royaume-Uni, l’Autriche ou la Hongrie. À l’inverse, d’autres ont pris des initiatives pour faire avancer le dossier : la Belgique a récemment versé 5 millions d’euros à titre exceptionnel pour financer les coûts liés à l’enquête palestinienne.