Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Blast
Stefano Palombarini : « La normalisation de l’extrême droite s’opère par une redéfinition des valeurs républicaines »
#neoliberalisme #extremedroite #Macron #gauche
Article mis en ligne le 20 novembre 2023
dernière modification le 19 novembre 2023

Stefano Palombarini est maître de conférence en économie à l’Université Paris 8. Avec Bruno Amable, il a publié en 2017 aux éditions Raisons d’Agir, « L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français ». Ce livre détaille l’émergence d’un nouveau bloc hégémonique à l’origine de l’élection d’Emmanuel Macron, « bourgeois » par sa composition sociale, dont les membres se réunissent autour d’une adhésion aux réformes néolibérales. Pour le chercheur, la présence, peu critiquée, de l’extrême droite à la marche contre l’antisémitisme organisée le dimanche 12 novembre, est la suite logique d’un mouvement de fond des frontières de « l’arc républicain ». Entretien.

La présence « consensuelle » de l’extrême droite à une marche contre l’antisémitisme, le dimanche 12 novembre dernier, constitue-t-elle un tournant politique ? Comment comprendre la timidité des critiques, parfois la réjouissance, des forces politiques dites « traditionnelles » à cette présence ?

Je ne parlerais pas d’un tournant, car la normalisation du RN est un processus à l’œuvre depuis plusieurs années. Mais certainement, qu’un parti de tradition antisémite puisse participer à une marche contre l’antisémitisme sans soulever d’autres résistances que minoritaires est le signal que ce processus est désormais achevé. Seulement deux jours après la marche, le Sénat, avec le concours de la droite et des macronistes, a d’ailleurs voté la suppression de l’AME. La « normalisation » de l’extrême droite ne se fait pas par son adhésion aux valeurs républicaines traditionnelles, mais par une redéfinition de celles-ci. Pour le dire autrement, la normalisation de Rassemblement national est le produit du glissement vers l’extrême-droite d’une partie importante du spectre politique.

Dans un article publié sur Mediapart, l’avocat Arié Alimi et le militant Jonas Pardo ont déclaré que « Les gauches qui appellent à ne pas manifester renoncent à leur rôle historique ». Selon vous, le choix fait par LFI de ne pas participer à cette manifestation est-il une erreur politique et stratégique ?

C’est une critique assez paradoxale. L’appel écrit par les présidents des deux chambres était un tapis rouge pour l’extrême-droite : pas un mot sur les racines de l’antisémitisme dans l’histoire française, pas un mot sur les victimes palestiniennes du conflit, alors que le sort des otages israéliens était évoqué, ou encore la laïcité comme arme de combat contre l’islamisme. Et quand Le Pen et Zemmour ont annoncé leur participation, les organisateurs ont applaudi. Dans ces conditions, ce qui devrait étonner est de voir Ps, Eelv et Pcf répondre positivement à l’appel. Je rappelle d’ailleurs que Lfi n’est pas la seule à avoir refusé de participer, la Cgt est dans le même cas. On peut par contre légitimement reprocher à la gauche tout entière, associative, syndicale et politique, de ne pas avoir organisé rapidement une manifestation différente, dans une ville et à une date différente si nécessaire, avec ses propres mots d’ordre. En l’absence de quoi, tous ceux que la montée de l’antisémitisme inquiète ou effraie ont dû choisir entre tomber dans un piège ou rester chez soi. (...)

Il y a bientôt trois ans, j’avais écrit que s’il restait un barrage pseudo-républicain en France, il était contre la France insoumise, et cela est aujourd’hui évident. (...)

On ne légitime pas une extrême-droite comme celle de Le Pen et Zemmour sans payer des coûts. Et c’est une faute grave de la part d’associations comme le Crif de considérer que, comme l’ennemi principal des l’extrême-droite sont aujourd’hui les arabes et les musulmans, cela met les juifs à l’abri. Le racisme joue un rôle central dans la stratégie de l’extrême-droite, en France comme ailleurs, et le profil de ceux qui en sont victimes est susceptible de changer en fonction des conjonctures politiques. (...)

dès qu’il est devenu Président, Macron a complètement délaissé le volet « progressiste » de sa stratégie. Il faut se rappeler que son premier mandat a été marqué par la répression violente du mouvement des Gilets jaunes, par la réhabilitation partielle de Pétain, ou encore par une gestion catastrophique et liberticide de la crise Covid. L’abandon de la position historique de la France sur le conflit israélo-palestinien prolonge et accentue la droitisation du bloc bourgeois, qui cependant reste fondamentalement axé sur les catégories moyennes et supérieures. (...)

le bloc bourgeois et le bloc d’extrême-droite, dont la composition sociale est très différente, inscrivent leurs actions dans la même vision du monde, celle néolibérale, dans laquelle des clivages demeurent, qui opposent par exemple les jeunes aux vieux, les insiders aux outsiders, les français dits de souche à ceux d’origine immigré, les cosmopolites aux identitaires etc, mais les clivages de classe disparaissent. Or, cette vision du monde est concurrencée par celle de la gauche de rupture, qui constitue donc sur le plan idéologique l’ennemi commun des macronistes et des l’extrême-droite. Et quand on a le même ennemi dans la bataille pour l’hégémonie, le rapprochement sur le plan plus directement politique devient inéluctable. (...)

En ce qui concerne les forces de gauche, leur situation est objectivement compliquée. Dans le combat hégémonique, le rapport de force leur est totalement défavorable, il suffit de jeter un coup d’œil au rôle joué par les médias pour le savoir. (...)

s’il y aura un avenir pour la gauche de rupture, ce sera parce qu’elle aura su consolider sa propre vision du monde contre celle néolibérale. Mais s’il est nécessaire d’aller au combat, il faut le faire avec la conscience qu’il est difficile et loin d’être gagné d’avance. (...)