
Le président américain Donald Trump a appelé, mercredi, sur les réseaux sociaux à “acheter des actions” quelques heures avant d’annoncer une pause dans l’application de la hausse des droits de douane. Pour ses détracteurs, il s’agit d’un cas flagrant de manipulation boursière. D’autres n’y voient qu’un message cherchant à calmer les esprits.
(...) Moins de trois heures plus tôt, le locataire de la Maison Blanche avait joué au conseiller financier sur son réseau social “Truth social”, puis sur X. “C’est un bon moment pour acheter [des actions, NDLR]”, a-t-il assuré en écrivant ce message tout en majuscules comme pour insister sur son importance. Un message signé des initiales DJT pour Donald John Trump, mais qui sont aussi les trois lettres pour désigner l’action de son groupe Trump Media & Technology.
Appels à ouvrir une enquête sur le tweet
Ce message a été largement repris ensuite par ses détracteurs qui s’en sont servi pour accuser Donald Trump de manipulation de marchés financiers ou de délit d’initié. Comme si des personnes informées attendaient ce message, qui servirait de signal pour faire affaire en Bourse avant l’annonce officielle de la pause tarifaire.
“C’est le début d’une affaire de délit d’initié. Le message de Donald Trump démontre qu’il voulait que ses proches et partisans puissent profiter d’informations que lui seul possédait [la décision postérieure de mettre les droits de douane en pause, NDLR] pour en profiter financièrement”, a réagi Chris Murphy, l’une des étoiles montantes du parti démocrate. Alexandra Ocasio-Cortez, personnalité emblématique de l’aile gauche du parti démocrate, a appelé tous les élus à dévoiler les actions qu’ils ont vendues et achetées après le message controversé du président américain. (...)
Adam Schiff, un influent sénateur démocrate, a quant à lui demandé l’ouverture d’une enquête car “ces changements constants de politique offrent des opportunités de manipulation des marchés financiers”. Une référence aux précédents changements d’humeur politique de Donald Trump en matière tarifaire, lorsqu’il avait décidé d’imposer des droits de douane au Mexique et au Canada… avant de se rétracter quelques jours plus tard. (...)
Un message qui peut avoir des conséquences énormes
Le problème réside dans le choix du réseau social pour cette communication présidentielle. “Les fonds d’investissement et les opérateurs boursiers sont tous branchés sur les réseaux sociaux pour adapter en permanence leur stratégie d’investissement”, souligne Vu Tran, spécialiste de la finance à l’université de Reading.
“Il n’est pas du tout éthique pour un président américain de fournir des conseils financiers et encore moins sur des réseaux sociaux. Tout du moins aurait-il dû faire passer ce message par le canal plus traditionnel et mieux encadré du communiqué de presse”, estime Marc Goergen, spéclaliste de finance internationale à l’école de commerce IE de Madrid.
Le risque est d’autant plus grand de poster ainsi des “conseils financiers” que les marchés sont particulièrement fébriles. (...)
Les investisseurs ont vu leur portefeuille d’actions chuter jour après jour et ne savaient plus à quel saint boursier se vouer. Dans ce contexte, un message comme celui de Donald Trump “peut avoir des conséquences énormes”, assure Vu Tran. (...)
Mais il suffit de quelques initiés ayant compris le message trumpien et prêts à dégainer en Bourse juste avant la grande annonce sur la pause des droits de douane, assurent d’autres experts interrogés par France 24. Dans cette hypothèse, le message de Donald Trump “peut être considéré comme une tentative de manipulation des marchés”, assure Nicholas Ryder, expert en droit de la finance à l’université de Cardiff.
Donald Trump comme Elon Musk ?
Difficile de savoir si Donald Trump a tweeté pour faire profiter de ses informations confidentielles les quelques millions de pas si “happy few” qui le suivent sur internet. “Apporter la preuve d’une telle intention est très compliqué”, note Vu Tran.
Donald Trump a réellement pu vouloir simplement tenter de calmer les esprits. “On n’avait pas vu une telle panique des marchés depuis la crise du Covid. Donald Trump avait peut-être sous-estimé l’impact de sa politique sur les Bourses et il s’est dit qu’il devait faire quelque chose pour les rassurer”, soutient Antoine Andreani. Et en grand habitué des réseaux sociaux, “il a utilisé la plateforme qui touche le plus rapidement et efficacement les deux populations qui comptent le plus à ses yeux : sa base électorale et ses alliés dans le monde de la finance”, estime Vu Tran. (...)
L’un des rois des influenceurs se trouve être un proche conseiller de Donald Trump : Elon Musk, propriétaire du réseau X. Ses tweets pour doper la popularité du dogecoin en 2021 - une cryptomonnaie dans laquelle il a investi - lui ont valu des accusations de manipulation des cours. La SEC (Security Exchange Commission), le gendarme américain de la Bourse, a même lancé en 2018 une enquête concernant d’autres tweets made in Elon Musk relatifs à Tesla, sa marque de voitures électriques. Elle a fini par déclarer le multimilliardaire innocent.
Pour tirer cette affaire de message présidentiel au clair, encore faudrait-il qu’une enquête soit ouverte. “Aux États-Unis, la SEC peut se saisir d’un tel dossier et décider, le cas échéant, d’une amende. Elle peut aussi transmettre le dossier au département de la Justice qui, selon les statistiques, décide ensuite une fois sur dix de poursuites”, souligne Nicholas Ryder.
Pour cet expert, “s’il s’était agi de n’importe qui d’autre que Donald Trump, la SEC aurait probablement ouvert une enquête”. Mais, à ses yeux, certains signes suggèrent que le président ne risque pas grand-chose de la part des autorités. “On note un recul dans la volonté de l’administration d’appliquer les lois contre la criminalité financière depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. (...)
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– Comment la question de la dette américaine a fait reculer Donald Trump sur les droits de douane
Après avoir déclenché une guerre commerciale mondiale, Donald Trump a finalement annoncé, mercredi, une suspension pendant 90 jours de ses droits de douane "réciproques". Derrière cette volte-face, il y a l’affolement des marchés financiers, notamment américains. "C’est un marché très compliqué", a confié le président américain.
La guerre commerciale a fait trembler le marché de la dette publique américaine, jusqu’à faire reculer Donald Trump sur une partie des droits de douane colossaux qu’il comptait imposer à beaucoup de ses partenaires commerciaux, selon des sources de marché interrogées par l’AFP.
"C’est la vente éclair de bons du Trésor américain ces derniers jours qui a finalement poussé Donald Trump à reculer sur sa stratégie commerciale", affirme Ipek Ozkardeskaya, analyste chez Swissquote Bank, évoquant une "ligne rouge" franchie, "une pression telle qu’elle est devenue insupportable – même pour Trump".
"Je surveillais le marché des obligations", a lui-même reconnu le président américain, ajoutant avoir constaté que ses surtaxes douanières "effrayaient un peu" les investisseurs. (...)
À l’heure où les experts économiques s’interrogent sur les véritables intentions de Donald Trump dans sa guerre commerciale, "le marché a perdu confiance dans les actifs américains", qu’il "vend activement", juge même George Saravelos, de la Deutsche Bank.
Le dollar perdait d’ailleurs encore du terrain jeudi, notamment face à l’euro.
Le ministre des Finances américain Scott Bessent a affirmé mercredi sur Fox Business que la tension des taux obligataires était certes "inconfortable", mais n’avait "rien de systémique".
Phénomène technique et temporaire ou "vote de défiance plus large envers la dette souveraine américaine" ? Pour Stephen Innes, de SPI AM, "peu importe", car la conclusion reste la même : l’ancien mode de fonctionnement consistant à acheter du dollar et des obligations américaines en temps de crise "ne fonctionne plus".
– voir aussi (video 22’21) :
Droits de douane : États-Unis - Chine, la rupture ?
Entre les États-Unis et la Chine, est-ce la grande rupture ? La volte-face de Donald Trump pour une pause de 90 jours sur les droits de douane a concerné le monde entier sauf la Chine. Pékin voit même ses produits taxés à 145% selon la Maison Blanche, alors que le reste du monde est à 10%. Sur le plan diplomatique la tension monte entre Washington et Pékin au sujet du canal du Panama. Pékin a réagi aux attaques de Pete Hegseth qu’elle qualifie de "malveillantes". Le ministre américain de la Défense a affirmé au Panama que Trump n’allait pas permettre que la Chine mette en péril le fonctionnement du canal. Pourquoi Trump a t-il reculé sur les droits de douane tout en accentuant sa pression sur la Chine ? Va-t-on vers une rupture entre la Chine et les États-Unis ? Jusqu’où le bras de fer peut-il aller ? (...)