Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Sectarisme, violences verbales, autoritarisme : un livre-enquête bouscule La France insoumise
#LFI #Melenchon #lameute #extremedroite
Article mis en ligne le 9 mai 2025
dernière modification le 8 mai 2025

Deux journalistes politiques, Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, publient « La Meute », un livre accablant à propos du fonctionnement et des pratiques internes du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Les cadres serrent les rangs.

Les mines étaient sinistres, mardi à l’Assemblée nationale. Mercredi, les Insoumis avaient pour consigne de sécher toutes les invitations dans les matinales radio et télé. Mathilde Panot, la présidente du groupe, et Manuel Bompard, le patron du mouvement, ont été au devant des micros pour dénoncer tout à trac « un ouvrage qui collectionne à la fois des ragots et des mensonges » (pour la première) et « une collection de ragots et de fausses informations » (pour le second).

Essentiellement consacré au fonctionnement – opaque et antidémocratique – du mouvement et aux pratiques – parfois sectaires et violentes – de l’ancien candidat à la présidentielle, il ne s’intéresse pas aux orientations politiques de la principale force de gauche.

Il ne porte pas davantage sur la dynamique militante d’un mouvement relativement récent, ou celle de son école de formation avec l’Institut La Boétie (au cœur de la bataille culturelle revendiquée par LFI contre l’extrême droite et la Macronie).

Ce livre est aussi l’objet de toutes les instrumentalisations, souvent grossières, de la part des opposant·es à La France insoumise. À l’Assemblée nationale mardi, la ministre Aurore Bergé n’a pas résisté, avec une anaphore sur « la meute » saluée par les applaudissements de son groupe et les exclamations de l’extrême droite : « Face à cette meute qui s’organise et se structure, il y a la République », a-t-elle déclaré, faisant fi de toutes les complaisances voire les complicités de son camp avec le Rassemblement national (RN). Sans parler des pratiques de cyberharcèlement en vogue dans plusieurs formations politiques, dont la sienne.

Mais l’hypocrisie du bloc central, la jubilation de l’extrême droite, voire la joie un peu honteuse des socialistes et des Écologistes, ne suffiront pas à disqualifier l’enquête publiée ce jour, nourrie de deux cents entretiens de témoins. Elle vient apporter des éléments supplémentaires à un tableau qui se dessine depuis plusieurs années : celui d’un mouvement dans lequel l’absence de démocratie a nourri la toute-puissance du chef, et de sa compagne, et qui exclut méthodiquement, au fil des années, les voix trop dissidentes. Au point d’instiller la « peur » et la « boule au ventre » auprès de tous ceux et toutes celles qui auraient envie d’apporter un point de vue critique.
Une organisation violente

Un parlementaire – anonyme – confie dans l’ouvrage : « Parfois, je me dis qu’on peut nous comparer à une secte. Tout est fonction de Jean-Luc [Mélenchon]. […] Normalement, tu n’autorises personne à te traiter comme Jean-Luc te traite. Même ta mère ou ton père ne peuvent pas te faire faire ça, te faire ramper comme ça. Y compris moi. »

La campagne des législatives, l’an dernier, l’avait déjà démontré, avec la purge spectaculaire des allié·es d’autrefois – d’ami·es même parfois –, Alexis Corbière, Raquel Garrido, Danielle Simonnet, Clémentine Autain ou encore François Ruffin, déjà exclu·es de la direction du mouvement quelques mois plus tôt.

D’autres ruptures, antérieures, étaient également bien connues. Ainsi en est-il de celle entre Jean-Luc Mélenchon et Charlotte Girard, figure importante du mouvement et veuve de François Delapierre, un des plus fidèles du chef jusqu’à son décès en 2015. Quand elle quitte LFI, et critique son manque de démocratie, Mélenchon lui adresse un message d’une rare brutalité, révélé dans le livre : « Delap [le surnom de Delapierre – ndlr] aurait honte de toi. »

Au cœur des dysfonctionnements du parti apparaît tout au long du livre le couple Jean-Luc Mélenchon-Sophia Chikirou. La place de la communicante, et la relation intime entretenue par cette dernière avec Jean-Luc Mélenchon, est un tabou politique depuis plusieurs années au sein du mouvement. Passée par les rangs du Parti socialiste, avant de tenter d’obtenir le soutien de l’UMP de Nicolas Sarkozy lors des municipales de 2008 à Paris, Sophia Chikirou a ensuite été de toutes les campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon à compter de 2012.

En 2017, dans un mélange des genres des plus improbables, elle cumule les fonctions de directrice de la communication de la campagne et de principale prestataire de cette même campagne. Sa société Mediascop facture 1,161 million d’euros de prestations, soit plus de 11 % du total des dépenses totales du candidat. (...)

Mediapart a fait le choix de rendre publique, en octobre 2018, la nature de la relation personnelle entre le candidat (Jean-Luc Mélenchon) et sa directrice de communication et prestataire (Sophia Chikirou), brisant un non-dit dans les sphères politique comme médiatique.

Six ans plus tard, celle qui a depuis été élue à l’Assemblée nationale dans une circonscription ultrafavorable pour la gauche (la sixième circonscription de Paris) et a continué de prendre du galon au sein de LFI, a été mise en examen pour escroquerie aggravée, abus de biens sociaux et recel d’abus de confiance, le 24 septembre 2024, dans le cadre de l’enquête sur le financement de la campagne.

Sollicitée à de nombreuses reprises par Mediapart depuis 2017, la communicante n’a jamais répondu à nos demandes d’entretien, se montrant même parfois insultante malgré ses fonctions officielles. En mars, Sophia Chikirou nous a seulement affirmé qu’elle n’assumait plus la « responsabilité » de la communication de La France insoumise depuis « l’été » 2024, renvoyant ainsi la gestion de l’affaire de la caricature antisémite de Cyril Hanouna vers le coordinateur national, Manuel Bompard. (...)

À de nombreuses reprises, des militant·es ont espéré que les révélations sur le comportement de la députée ouvrent le débat sur sa place prépondérante au sommet du mouvement, en vain.

Lors de son passage éphémère à la tête de Média, déjà, la violence de la communicante avait marqué les équipes. (...)

D’autres propos rapportés dans le livre La Meute viennent contredire les prises de position publiques de La France insoumise, ainsi que son programme. Ils sont là encore le fait de Sophia Chikirou. Parfois sous le coup de la colère, ou au prétexte de la plaisanterie (douteuse).

Les phrases attribuées à la députée de Paris sont accablantes. Sur l’antisémitisme notamment, ils viennent jeter un trouble supplémentaire sur l’environnement de Mélenchon, mis en cause à de nombreuses reprises sur ce sujet ces derniers mois. Ainsi, elle aurait dit à propos de ses associés dans la société de communication Mediascop, Arnauld Champremier-Trigano et Alban Fischer, qui demandent le règlement de leurs parts : « Ce ne sont pas deux petits juifs qui vont me prendre mon argent. » (...)

Chikirou, encore elle, est à la manœuvre quand il faut organiser la défense coûte que coûte de l’élu Adrien Quatennens, accusé puis condamné pour violences conjugales. Elle jure que « le sexisme dans [leurs] rangs, ça n’existe pas », quand Mathilde Viot, longtemps collaboratrice parlementaire (y compris chez LFI), milite pour un #MeToo politique.

Cité dans le livre, Mélenchon dit des propos outranciers de sa compagne, sur « les “barbus”, les femmes voilées, toujours dans un sourire goguenard » : « C’est les conneries de Sophia, ne l’écoutez pas. » (...)

Le livre de Charlotte Belaïch et d’Olivier Pérou revient aussi longuement sur les affaires de violences sexistes et sexuelles au sein de LFI. Des dossiers pour la plupart déjà révélés par Mediapart. (...)

« Moi, leur cellule, j’étais contre », aurait dit Mélenchon à Bouhafs, après son exclusion, toujours selon La Meute. Le même qui avait déjà considéré, à propos des violences conjugales d’Adrien Quatennens : « C’est juste une gifle. »

Le chef compte aussi parmi ses protégés le député Sébastien Delogu qui, disent les journalistes Belaïch et Pérou, peut qualifier les femmes d’un « cette chienne » ou « cette pute ». Avant d’être élu, il est aussi accusé par plusieurs ex-jeunes Insoumis d’avoir minimisé une affaire de violences sexuelles qui a beaucoup ému à Marseille, à la permanence de Jean-Luc Mélenchon.