
(...) Victor Cachard est philosophe, auteur de plusieurs livres sur le sabotage et son ancrage dans le milieu écologiste. Il a notamment écrit deux tomes sur l’histoire du sabotage aux éditions Libre. Ironie du sort, il s’apprêtait lui-même à prendre un train vendredi 26 juillet quand le trafic ferroviaire a été paralysé par « une attaque massive » et une série d’incendies volontaires attribués à « l’ultragauche » par le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin. Bloqué comme 800 000 autres passagers mais en phase avec le communiqué de revendication publié le lendemain, il raconte avoir tout sauf mal vécu cette interruption des flux.
(...) Victor Cachard — J’ai été surpris par l’emballement médiatique et par son amnésie. En réalité, il y a de nombreux précédents. Le sabotage du réseau ferroviaire a toujours été utilisé dans les luttes et les conflits sociaux. Même si à l’heure actuelle, on ne sait pas encore qui sont les auteurs de l’attaque de vendredi, on sait depuis longtemps que le sabotage est une arme efficace pour perturber l’ordre du monde, bloquer les flux et entraîner une paralysie temporaire du système. (...)
on assiste à une recrudescence des actes de sabotage. Les fibres optiques, les antennes 5G, les lignes de TGV et les grands projets industriels et écocidaires sont devenus les cibles de certains militants et activistes, déçus par d’autres modes d’action plus consensuels, et qui veulent passer à un cran supérieur pour affronter le pouvoir.
À chaque fois, ces militants sont caricaturés, livrés à la vindicte des éditorialistes et des juges. C’est une constante dans l’histoire. Le saboteur est une figure du traître et de l’ennemi intérieur. On parle de vandales, d’incendiaires, de dévastateurs qui seraient mus par des mobiles douteux et incompréhensibles.
C’est d’ailleurs ce qu’a redit Gérald Darmanin. Il évoque des gens potentiellement manipulés, il parle de la Russie, qui serait en embuscade, et lâche le mot d’« ultragauche » sans qu’on sache à quoi il fait référence. (...)
Un texte a été envoyé à plusieurs médias, dont Reporterre, pour soutenir l’acte. On ne sait pas encore si ce sont les auteurs du sabotage qui en sont à l’origine mais le texte contient de nombreuses revendications à la fois révolutionnaires et écologistes…
Oui, leur message est très clair. Ils s’opposent aux JO, ils considèrent que les JO sont un problème social, écologique et technosécuritaire. Quoi qu’on pense de ce mode d’action, on ne peut pas nier que c’est écrit de manière limpide. (...)
On y retrouve la plume de la mouvance anarchiste insurrectionnaliste. Ce sont des groupes d’individus qui privilégient les actions clandestines à toute forme de massification. Leur objectif n’est pas de rallier des gens mais d’ouvrir des brèches, de frapper des points de vulnérabilité du système, de créer une forme de désordre à partir duquel peuvent se redessiner les rapports de force et se tisser de nouvelles solidarités autonomes.
C’est un texte assez classique de ce milieu. Il me fait penser à un texte paru en 2008, Saboter le train-train quotidien. On y retrouve les mêmes références sur le quotidien morose que produit le capitalisme, l’existence marchande et le besoin de s’en échapper par l’action directe. (...)
Face au dispositif sécuritaire extraordinaire qui a été mis en place par les autorités, il est quasiment impossible de s’opposer directement aux infrastructures des Jeux. Les militants d’Extinction Rebellion qui ont cherché à le faire ont été massivement réprimés. L’intérêt de s’attaquer aux lignes ferroviaires, c’est de prendre le moins de risques possible et de maximiser les dégâts. Ces infrastructures sont ultravulnérables. Il est impossible de surveiller efficacement 30 000 km de voies ferrées et de mettre des caméras partout.
Après, c’est sûr que ce qu’ils gagnent en facilité technique, ils le perdent en lisibilité auprès de l’opinion publique (...)
Quoi qu’on en pense, l’opération a fonctionné, elle a provoqué des dégâts et suscité des débats. Elle a ouvert des champs qui n’étaient pas assez questionnés. Moi, je trouve insupportable cette indignation à géométrie variable. Qu’est-ce que c’est, ces quelques heures de retard face aux morts des travailleurs sur les chantiers des JO qui ont été largement invisibilisés ? Qui en parle ?
Ce n’est pas la fin du monde, un train en retard ! C’est quand même moins grave qu’une organisation olympique qui célèbre les États-nations, pollue massivement et délocalise la misère. (...)
Les encombrements matériels qui ont eu lieu sont infimes par rapport à la question politique d’intérêt général que soulèvent ces sabotages. Il n’y a eu aucun blessé, rien de grave, à un moment, il faut arrêter. Le sabotage ouvre une fenêtre entre le pacifisme et la violence via la dégradation de biens matériels. (...)
L’écosabotage est née de la rencontre et de la connexion très forte entre la mouvance anarchiste et les milieux écologistes. Avec les actions d’Earth First, les fauchages nocturnes d’OGM, la lutte antinucléaire, etc.
Tout cela s’inscrit dans une longue tradition et filiation politique. On retrouve aussi le même ton humoristique. Le fait de signer « une délégation inattendue », il y a un côté ironique. Ça me fait penser au Giec, le « Groupe incendiaire d’engins de chantiers », sur l’A69, qui a saboté des pelleteuses. (...)
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