
Au sud-ouest de Nantes, une assistante maternelle à la retraite bataille pour que l’Assurance maladie reconnaisse le lien entre son cancer et les pesticides épandus par ses voisins maraîchers.
« Quand on voit un tracteur avec une rampe de pulvérisation, on se demande ce qui va nous arriver. C’est tellement d’angoisse », soupire Marie‐Thérèse Gilet. À 75 ans, cette retraitée est toujours soignée pour son cancer, déclaré en 2022. « J’ai tout de suite fait le lien avec les pesticides. J’avais la haine. Après, il faut le prouver ». Avec son mari Guy, ils habitent depuis près de cinq décennies à Villeneuve‐en‐Retz, près de Machecoul, au sud‐ouest de Nantes. Autour de leur jardin arboré, les cultures de légumes en bandes — des planches, dans le jargon — se succèdent à perte de vue.
Marie‐Thérèse a toujours travaillé ici, comme assistante maternelle, aux premières loges pour assister au ballet des pulvérisateurs dans les champs voisins. Aujourd’hui, le couple, appuyé par un avocat, s’est engagé dans un bras de fer avec l’Assurance maladie pour faire reconnaître le cancer de l’épouse comme maladie professionnelle, causée par les pesticides. La démarche est inédite en France pour des riverains ne travaillant pas dans l’agriculture. Si elle aboutissait, elle pourrait faire école dans les actions menées par les riverains victimes des pesticides. (...)
Dans les campagnes françaises, les interrogations des habitants sont croissantes. (...)
En février dernier, la réponse de l’Assurance maladie tombait : c’est non. Le dossier ne sera même pas examiné en comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Maître François Lafforgue a alors fait appel des deux raisons invoquées pour justifier le refus. Sur la première, qui concerne le taux d’incapacité, il a obtenu gain de cause. « Le dossier devrait être examiné dans le cadre d’un CRRMP, ou du comité de reconnaissance des maladies professionnelles du Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides », explique l’avocat. Quelle que soit la voie dédiée, si le dossier est examiné, « ce sera une première ».
Quant au second recours, sur l’inscription de son cancer dans les tableaux de maladies professionnelles, Marie‐Thérèse Gilet était toujours dans l’attente d’un retour à l’heure de la publication de cet article. (...)
Pour les utilisateurs de pesticides — agriculteurs en tête — l’accès à des indemnisations s’est généralisé en 2020 avec la création du Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP). Il facilite les demandes de reconnaissance en maladie professionnelle, avec un système de guichet unique. Le FIVP s’occupe aussi des enfants exposés aux pesticides pendant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de la mère ou du père, avec un fonds dédié.
« À notre connaissance, c’est le seul dispositif de ce type au monde », explique Giovanni Prete, sociologue. C’est ce fonds qui a été saisi suite au décès d’Emmy Marivain, dont la mère fleuriste, résidant en région nantaise, a été exposée aux pesticides durant sa grossesse. (...)
En revanche, rien n’est prévu pour les riverains. Quand ils appellent le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, « on ne peut pas leur dire qu’on peut faire quelque chose. Car pour l’instant, on ne peut rien faire », (...)
« Ce que l’on conseille, c’est d’aller voir le ou les agriculteurs, et éventuellement d’entamer une négociation avec l’aide d’un médiateur comme le maire. Dans certains endroits, on a réussi à obtenir que la parcelle soit cultivée en bio. A minima, on peut demander à être prévenu avant un traitement. Mais cela ne marche pas à tous les coups », pose Jean‐Yves Piveteau.
Comme pour les Gilet, qui disent avoir tenté à de nombreuses reprises de discuter. Dans leur dernier courrier, à l’été 2025, ils demandent le nom des produits épandus pour connaître les dangers auxquels ils ont été exposés. « Le voisin [agriculteur] nous a dit de voir avec la Fédération des maraîchers nantais, ce que nous avons fait, sans réponse pour l’instant », explique Guy Gilet. Les membres du collectif conseillent aussi de signaler les épandages à Phytosignal Pays de la Loire, un dispositif de l’Agence régionale de santé (ARS). (...)