
A la demande du Collectif Justice 13 mai qui rassemble plusieurs organisations kanak, le cabinet d’avocats Ancile a réalisé un rapport sur les violences policières contre les populations kanak et océane durant les évènements de 2024. Truffé de témoignages de témoins et de victimes, ce rapport dévoile que les forces de l’ordre ont éliminé de sang froid plusieurs militants. Sans que la justice n’enquête.
Constat d’échec pour Manuel Valls, le ministre des Outre-mer, en Kanaky – Nouvelle-Calédonie. Malgré trois jours de négociations en huis-clos dans un hôtel éloigné de la capitale, le ministre d’État n’a pas réussi à ramener à la raison les leaders extrémistes anti-indépendantistes, arcboutés sur leur plan de partition du territoire. C’était à prendre ou à laisser. Manuel Valls a laissé et est remonté dans son avion jeudi 8 mai.
Mais dès le début des discussions, il était visible que les chances d’aboutir à un accord étaient plus que minces. Absents de la cérémonie coutumière de Gouao (la tribu dont dépend l’hôtel) tenue en prélude des négociations, Sonia Backès, la présidente de la région Sud, Virginie Ruffenach, la présidente du groupe LR au Congrès, et le député macroniste Nicolas Metzdorf montraient ainsi leur inflexibilité et leur volonté de ne rien lâcher. Une position qui leur a été d’autant plus facile à défendre que Manuel Valls a dû se sentir très seul depuis qu’il a pris en main le dossier calédonien : pas un mot de soutien de la part du président de la République ou de son Premier ministre. Laissant ainsi courir la petite musique de son isolement au sein du gouvernement.
Des forces de l’ordre renforcées (...)
alors que le premier anniversaire du début des « évènements » (le 13 mai prochain) approche, l’État a largement renforcé les effectifs des forces de l’ordre sur le « Caillou » : 2600 gendarmes et policiers supplémentaires. Or vu les exactions commises par les forces de l’ordre il y a un an, couvertes officiellement le haut-commissariat et la justice, les populations kanak et océanes peuvent craindre que la moindre manifestation commémorant les victimes fasse l’objet d’une violente répression.
Cette réalité, celle des exactions des forces de l’ordre, vient en effet d’être documentée dans un rapport remis par le cabinet d’avocats Ancile au collectif Justice 13 mai, qui regroupe plusieurs mouvements et associations kanak. Reposant sur de très nombreux témoignages de témoins et victimes des violences policières, ce rapport ne laisse guère de place au doute : les forces de l’ordre avaient obtenu un véritable feu vert de l’État pour « se faire » les militants indépendantistes, kanak et océaniens. (...)
Selon les données sur les procédures judiciaires recueillis par des membres du CSPPK (le Comité de soutien aux prisonniers politiques Kanak), « 100 % des mis en cause dans les affaires recensées sont Kanak, océaniens ou mélanésiens. Aucun calédonien de type blanc ou européen n’a été poursuivi en justice pour avoir érigé des barrages et détenu ou porté des armes, en lien avec les évènements débutés le 13 mai 2024. » Pourtant, les barrages dans Nouméa et sa région étaient aussi bien tenus par des militants indépendantistes que des anti-indépendantistes.
Injustice et stigmatisation
Après avoir recueilli de très nombreux témoignages sur le comportement et la violence des forces de l’ordre, les deux avocats notent qu’ils « mettent en évidence une situation particulièrement alarmante en Nouvelle-Calédonie, marquée par un usage excessif et disproportionné de la force par les forces de l’ordre à l’encontre des populations Kanaks et des autres minorités ethniques. (...)
Ils ajoutent que « cette situation témoigne également d’une relation conflictuelle persistante entre les populations locales et les forces de l’ordre, marquée par un dialogue quasiment inexistant et des tensions exacerbées. Le sentiment d’injustice et de stigmatisation exprimé par les habitants, qui se perçoivent comme traités en “sauvages“, “bétail“ ou “terroristes“, souligne la profondeur du malaise et la perception d’une répression disproportionnée et injustifiée. »
Et de conclure : « L’utilisation abusive de ces moyens de coercition soulève de sérieuses interrogations quant au respect des droits fondamentaux des populations concernées. Ces pratiques posent un véritable problème d’éthique et de proportionnalité dans le maintien de l’ordre, rendant indispensable une réflexion approfondie sur les conditions d’emploi de ces armes et sur la gestion des conflits sociaux en Nouvelle-Calédonie. »
Les meurtres de militants Kanak
Bien évidemment, le rapport revient sur les décès intervenus au printemps 2024 sur le territoire. Notant tout d’abord qu’« au 10 mars 2025, le bilan humain des émeutes s’élève à 13 morts par balle, 12 civils et 1 gendarme, ainsi qu’un second gendarme décédé à la suite d’un tir accidentel » et qu’« au moins 10 des victimes civiles sont Kanak », les auteurs soulignent que « Ces faits révèlent que, parmi les victimes Kanak recensées, au moins 6 ont été abattues par les forces de l’ordre et 4 par des particuliers armés. Il est également frappant de constater que les autorités ont systématiquement justifié les tirs des forces de l’ordre comme des actions de riposte, y compris lorsque les victimes ont été atteintes dans le dos ou en pleine tête par des tirs en longue distance, ce qui soulève de sérieuses interrogations quant à la cohérence de ces justifications. » (...)
C’est à Saint-Louis qu’ont été tués trois militant Kanak par les forces de l’ordre. « Le 10 juillet 2024, Victorin WAMYTAN, 39 ans et père de trois enfants, a été tué, suivi par Johan KAIDINE et Samuel MOEKI, respectivement âgés de 29 et 30 ans, le 19 septembre 2024 », rappelle le rapport.
Si « les autorités ont tenté de justifier ces drames en expliquant qu’ils étaient liés à des actions violentes de la part des jeunes » notent les deux avocats, ces derniers mettent immédiatement en lumière les contradictions flagrantes entre les déclarations publiques des représentants de l’État et les témoignages recueillis auprès de témoins (...)
« Les tragiques décès de Victorin WAMYTAN, Johan KAIDINE et Samuel MOEKIA, survenus lors des émeutes à Saint-Louis, révèlent une série de faits et de contradictions qui suscitent de nombreuses interrogations. Malgré les justifications avancées par les autorités, les témoignages et éléments recueillis suggèrent que ces jeunes étaient délibérément ciblés, comme en témoigne l’existence de listes de personnes recherchées et une pression croissante pour leur reddition. »
A défaut de pouvoir les arrêter vivants, les forces de l’ordre ont-elles alors délibérément décidé de les abattre, sachant de toute façon qu’elles seraient de toute façon couvertes par l’État ?