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Mediapart
Rejetés des États-Unis, des Haïtiens tentent de trouver refuge au Canada
#USA #Trump #migrants #immigration #expulsions #haitiens #Canada
Article mis en ligne le 14 mai 2025
dernière modification le 13 mai 2025

Donald Trump a mis fin au programme de protection temporaire de plus de 500 000 migrants en provenance d’Amérique latine et notamment de Haïti. Même si la justice états-unienne a suspendu son application, des Haïtiens cherchent à fuir vers le voisin du nord. Mais les restrictions sont nombreuses.

« Je suis un rescapé de la mort. » Pour le prouver, Anderson*, qui fut policier en Haïti, soulève un pan de sa chemisette. Le trentenaire nous montre, sur le côté droit de sa poitrine, une cicatrice qui efface en partie un prénom tatoué. Le souvenir douloureux d’une embuscade des gangs. « Pour les bandits et les criminels, nous les policiers sommes une menace et ils essaient de nous éliminer à tout prix », témoigne-t-il, ajoutant : « La vie des policiers c’est vingt-quatre heures renouvelables. Quand tu sors de chez toi et que tu rentres, tu remercies Dieu. Des fois, tu sors et tu ne rentres pas. »

Après avoir survécu à cette attaque des groupes criminels qui règnent en maître sur l’île – malgré les tentatives de la communauté internationale pour mettre fin à leur emprise –, Anderson s’est enfui aux États-Unis. Il pensait pouvoir bénéficier de la protection temporaire accordée, depuis octobre 2022, par Joe Biden à plus de 500 000 migrant·es en provenance de Haïti, de Cuba, du Nicaragua et du Vénézuéla.

Mais un autre habitant de Floride, Donald Trump, en a décidé autrement. À peine réélu pour son deuxième mandat, le président américain a mis fin au programme de son prédécesseur. Même si un tribunal a suspendu cette décision qui devait entrer en vigueur le 24 avril – le président états-unien a saisi jeudi 8 mai la Cour suprême pour pouvoir l’appliquer –, Anderson a pris les devants et a préféré partir. (...)

Une présence haïtienne de plus de soixante ans

Anderson a pu rejoindre le Canada la première semaine du mois d’avril. Il échappe aux restrictions imposées par les autorités des deux pays dans le cadre de l’Entente sur les tiers pays sûrs signée en 2003 puis amendée en 2023. Selon ce texte, les personnes qui franchissent la frontière du Canada sont renvoyées vers les États-Unis sauf si elles rejoignent de la famille proche, ou si elles ont pu rester quatorze jours sur le sol canadien sans être interpellées. (...)

La présence des Haïtien·nes au Québec remonte à une soixantaine d’années, souligne Marjorie Villefranche, sa directrice générale. À l’époque, il s’agissait de fuir la dictature de la famille Duvalier, et aujourd’hui le chaos des gangs.

« Il y a des gens qui sont arrivés il y a soixante ans et d’autres qui viennent d’arriver. Cela n’arrête jamais. Chaque fois qu’il se passe quelque chose en Haïti, on sait qu’il y a des vagues d’immigration ici, ne serait-ce parce qu’il y a des parents qui veulent parrainer des membres de leur famille », dit-elle. (...)

Les autorités canadiennes se sont préparées à une hausse des arrivées en provenance des États-Unis, mais pour l’heure, souligne Karine Côté-Boucher, professeure agrégée à l’École de criminologie de Montréal, sociologue et spécialiste de l’étude des frontières, on n’assiste pas encore à un afflux. « Mais à partir du moment où il y a 500 000 personnes qui viennent de perdre leur statut temporaire de protection aux États-Unis, dont environ 200 000 Haïtiens, on peut penser que ces gens-là vont réfléchir à venir ici », estime-t-elle.

Elle regrette l’absence de planification de la part des gouvernements fédéral et provincial. (...)

Politique de réduction des migrants

Que va faire le gouvernement fédéral qui doit se mettre en place sous l’égide du premier ministre, Mark Carney, dont le Parti libéral du Canada (PLC, centriste) vient de remporter les élections ? Dans ses premières déclarations, l’ancien banquier de la banque d’Angleterre et du Canada a indiqué vouloir poursuivre une politique de réduction des migrant·es permanent·es et temporaires au cours des trois prochaines années.

Marjorie Villefranche regrette la « réponse déroutante » du Canada face à la demande d’aide des Haïtien·nes. Lors de la campagne récente, l’éventualité d’un afflux migratoire a été instrumentalisée par certaines formations politiques. Au Québec, Yves-François Blanchet, le chef du parti souverainiste le Bloc québécois, s’est inquiété de l’arrivée de nouveaux et nouvelles migrant·es. « On y laisserait notre langue, on y laisserait notre identité, on y laisserait notre culture », a-t-il lancé.

Les propos du ministre de l’immigration, de la francisation et de l’intégration du Québec, Jean-François Roberge, qui avait déclaré que la province francophone ne pouvait pas accueillir « toute la misère du monde », ont aussi choqué.

« C’est injuste de traiter les Haïtiens de misère du monde quand nous savons qu’ils seront la “richesse du Québec” dans moins d’une génération », a réagi l’écrivain canadien et haïtien Dany Laferrière, déplorant la traque déclenchée par la décision de Donald Trump. (...)

Pendant la campagne électorale, le chef du Parti conservateur du Canada (PCC), Pierre Poilievre, a expliqué que le pays ne devait accueillir que des « vrais demandeurs d’asile », reprenant aussi la stratégie trumpienne de lier immigration et criminalité. (...)