
Un maire du Val-d’Oise et plusieurs de ses administrés seront jugés, lundi 23 juin, pour s’en être pris à des familles roms. L’occasion de rappeler la manière dont les pouvoirs publics ont contribué à fabriquer un « problème rom » en France.
Un jour de l’hiver 2023, des habitants et habitantes d’un village du Val-d’Oise ont expulsé de leur campement des familles roms installées dans le bois de la commune. « Sales voleurs ! », « Bandits ! », « Cassez-vous ! » : hors de tout cadre légal, ils les ont injuriées et menacées. Ils leur ont lancé « des cailloux et des pétards », selon l’aveu de l’un d’entre eux, et ont détruit leurs habitations et leurs biens personnels. Préparée en amont, la manifestation visait, comme ils le revendiquent, à susciter la peur pour déloger ces personnes jugées indésirables, parmi lesquelles une quinzaine d’enfants.
Raconté dans nos colonnes au moment des faits, ce déchaînement de violence fait l’objet d’un procès qui doit se tenir lundi 23 juin à Pontoise. Six prévenu·es sont convoqué·es devant le tribunal correctionnel, dont le maire et des habitant·es, à la suite de plaintes déposées par trois victimes, rejointes par quatre associations de défense des minorités.
L’affaire de Villeron est emblématique d’un racisme profondément ancré dans notre pays. Selon le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui vient d’être rendu public, les stéréotypes visant les Roms sont ceux qui imprègnent le plus la société française, devant l’islamophobie (« sentiment anti-musulmans ») et l’antisémitisme. (...)
Les Roms sont ainsi perçus comme un groupe « à part » par 59 % de la population, selon le baromètre réalisé depuis près de trente-cinq ans par cette institution indépendante. Leur mode de vie, apprend-on, est jugé « très spécifique et même condamnable » par une majorité des personnes interrogées, qui estiment que les Roms « exploitent très souvent les enfants ». « Le sentiment que les Roms contribuent à l’insécurité reste fort, près d’un Français sur deux estimant qu’ils “vivent essentiellement de vols et de trafics” », peut-on lire également.
Déchaînement de violence
Les habitant·es de Villeron sont donc des Français·es comme les autres. Mais comment de paisibles citoyens et citoyennes se sont-ils sentis autorisés à « se faire justice » eux-mêmes, alors qu’une procédure d’expulsion était engagée devant la justice ?
Le déchaînement de violence, tel que le décrit l’article de Mediapart qui s’attelle à donner la parole à l’ensemble des personnes concernées, s’inscrit dans une dramatique déshumanisation d’un groupe de personnes en raison de leurs origines. En témoigne le dénominatif de « rats » utilisé dans une vidéo postée sur le groupe Facebook du village. Relevant des idéologies les plus barbares que le monde ait connues, cette terminologie n’est qu’un des symptômes du processus raciste à l’œuvre dans cette affaire. (...)
les travaux universitaires et journalistiques montrent que, plutôt que de chercher à endiguer les préjugés, élu·es et ministres ont participé à les alimenter en construisant un « problème rom ».
Le paroxysme de la stigmatisation institutionnelle a été atteint lors de la présidence de Nicolas Sarkozy : à l’occasion d’un discours prononcé à Grenoble en juillet 2011, le président de la République a marqué les esprits en assimilant immigration et délinquance, en distinguant les Français·es selon leurs origines et en comparant les campements roms à des « zones de non-droit que l’on ne peut pas tolérer en France ».
Sous le mandat de François Hollande, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, a poursuivi sur la lancée (...)
pour conclure que « les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie », dans une interprétation pour le moins biaisée du principe de libre circulation au sein des pays de l’Union européenne.
La même année, les conditions de l’arrestation de la jeune Leonarda Dibrani, lors d’une sortie scolaire, et de son expulsion avec sa famille, à deux mois d’une possible régularisation, avaient divisé la représentation nationale.
Des ministres aux maires
À l’occasion des municipales de 2014, le déferlement de haine, autorisé au plus haut niveau de l’État, s’est fait massif. (...)
Nos nombreux reportages en témoignent : certains maires ont pris la mission très à cœur, comme celui de Wissous (Essonne), qui, en octobre 2022, sollicitait son équipe pour aller déloger une famille. « Qui veut se faire du Rom ? Ce soir », écrivait-il ainsi dans une boucle WhatsApp. (...)
On se souvient aussi du maire de Vigneux-sur-Seine (Essonne) qui, en décembre 2013, avait fait fuir une soixantaine de Roms de sa commune en disposant à l’entrée du terrain des conteneurs métalliques, de manière à empêcher le passage, tandis que, quelques jours plus tôt, le maire de Roquebrune-sur-Argens (Var) avait regretté que les pompiers aient été appelés « trop tôt » pour éteindre un incendie qui s’était déclaré.
Les exactions commises contre cette population, quand elles réussissent à franchir le mur du silence médiatique auquel elles sont généralement assignées, suscitent rarement la réprobation. Au contraire, il n’est pas rare que les maires justifient leurs actions, quelle que soit leur légalité, par le « ras-le-bol » des riverain·es.
Des obligations bafouées
Les maires, pourtant, ont des obligations à l’égard de l’ensemble des personnes vivant sur le territoire de leur commune, y compris celles installées sans autorisation. En refusant aux familles roms des droits inaliénables, comme l’accès à l’eau potable, à l’électricité, au retrait des poubelles, à la scolarisation des enfants et à la sécurité, ils créent eux-mêmes les conditions de leur rejet.
De leur côté, les services de l’État, en se montrant le plus souvent incapables de se conformer à leur devoir d’accueil inconditionnel en hébergement d’urgence, finissent de les marginaliser durablement, rompant ainsi la promesse d’égalité inscrite à l’article premier de notre Constitution.
Pour la première fois en France, en 2024, des mères en extrême précarité, en majorité roms, ont vu reconnaître les refus de scolarisation de leurs enfants comme un préjudice par la justice. En 2023, après dix ans de procédures, des familles avaient obtenu gain de cause après que le maire de leur commune avait décidé de scolariser leurs enfants dans une classe spéciale au sein d’un gymnase désaffecté, à l’écart de l’école de secteur.
Des victoires judiciaires, certes, mais les politiques de rejet subsistent. Le plus souvent dans un silence coupable.