
Le père de famille et le prédicateur islamiste, auteurs de la campagne de haine ayant ciblé Samuel Paty, ont été reconnus coupables d’association de malfaiteurs terroriste. Ils ont été condamnés respectivement à treize et quinze années de réclusion criminelle.
La cour d’assises spécialement composée a tranché. Vendredi 20 décembre, à l’issue de trente-deux heures de délibéré, cinq magistrats professionnels ont condamné Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui respectivement à treize et quinze années de réclusion criminelle pour le sinistre rôle qu’ils ont joué dans l’attentat ayant coûté la vie à Samuel Paty. À leur encontre, la cour d’assises a alourdi de trois années supplémentaires les réquisitions du Parquet national antiterroriste (Pnat), qui avait requis lundi dix et douze ans de réclusion criminelle.
Avant d’annoncer les peines, la cour d’assises précise qu’elle a « pris en compte la gravité exceptionnelle des faits, [...] d’une barbarie absolue constituant une atteinte irrémédiable aux valeurs de la République ». La cour estime que « conscients de la réalité de la menace qui pesait sur le professeur, [Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui] n’ont jamais cessé de faire pression avec des propos virulents et haineux […] dans un climat propre à créer la haine ».
Alors qu’il n’avait pas le droit à la parole, Abdelhakim Sefrioui a lancé au président Franck Zientara : « J’ai compris que vous avez fait de la politique. »
Il a aussitôt annoncé qu’il allait faire appel. (...)
Ce n’étaient que deux accusés parmi d’autres, même pas ceux qui encourraient les plus grosses peines (lire l’encadré), mais, durant les trente-deux jours d’audience, ils ont, qu’ils parlent ou qu’ils se taisent, aimanté tous les regards. On scrutait leurs réactions, le comportement passif de l’un, combattif de l’autre.
Brahim Chnina est ce père de famille qui s’était insurgé sur les réseaux sociaux du cours donné par le professeur Paty, et Abdelhakim Sefrioui ce prédicateur islamiste habitué des polémiques ayant apporté son soutien pour amplifier, ce que le Pnat a qualifié de « fatwa numérique ».
Les faits et les rôles de chacun sont connus et relativement simples à appréhender. (...)
Les dix jours précédant sa mort, Samuel Paty avait été la cible d’une intense campagne de cyberharcèlement. À l’origine : le mensonge d’une élève, la fille de Brahim Chnina, l’accusant à tort de discrimination envers les musulmans.
Élément intentionnel manquant
D’abord seul, puis avec l’aide d’Abdelhakim Sefrioui, activiste islamiste en perte de vitesse qui voit là une opportunité de refaire parler de lui, le père de famille a, selon le Pnat, « orchestré une campagne de haine qui a désigné Samuel Paty comme une cible ». Ni l’un ni l’autre ne connaissaient le terroriste, Brahim Chnina échangera simplement avec lui, comme avec beaucoup d’autres, au plus fort de la polémique. Le ministère public lui-même a reconnu lors de son réquisitoire que les deux hommes ne pouvaient pas imaginer qu’Anzorov allait décapiter le professeur qu’ils appelaient, avec une très grande véhémence, à faire renvoyer de l’Éducation nationale.
La responsabilité de ces deux hommes dans l’attentat dont a été victime le malheureux professeur est indéniable. Pour autant leurs actes, pour condamnables qu’ils sont, ne semblent pas répondre aux critères juridiques de l’association de malfaiteurs terroriste (désignée par son acronyme, AMT). Incitation à la haine, mise en danger de la vie d’autrui, mille fois oui. Terrorisme ? pas évident.
C’était là tout l’enjeu du procès.
Pour le ministère public, l’AMT reprochée aux deux hommes est constituée, car leur campagne numérique contre Samuel Paty était « concertée » et constituait un « ciblage viral et violent du professeur » alors même que la menace terroriste était ravivée par la republication quelques semaines plus tôt des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo.
Mardi 17 et mercredi 18 décembre, les avocats des deux accusés ont plaidé leur acquittement, estimant que l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste ne pouvait en l’état s’appliquer à leurs clients. (...)
le meilleur argument des accusés : tous leurs actes ont été effectués à visage découvert. Sans cacher leurs véritables identités et même en affichant leurs numéros de téléphone dans les vidéos. On est bien loin de la taqîya, cet art de la dissimulation que l’on prête aux djihadistes. Et puis Vincent Brengarth insiste : il n’y a pas d’élément intentionnel, c’est-à-dire la preuve que son client (mais c’est aussi valable pour Brahim Chnina) était conscient de rejoindre un groupe qui fomentait un projet terroriste.
Seulement un professeur a été décapité. Et le terroriste qui a commis cet acte ignoble a eu connaissance de l’existence de Samuel Paty et de la prétendue discrimination dont il se serait rendu coupable (une rumeur infondée) par le biais de la polémique entretenue par le père de famille et le prédicateur. (...)