
Parti pris et pistes de réflexion d’une de nos contributrices
Le verdict est tombé jeudi 19 décembre après plusieurs semaines de procès insoutenable. L’ensemble des 51 prévenus du procès de Mazan ont été reconnus coupables. Les peines de prison vont de 3 à 20 ans, la plus lourde étant pour Dominique Pélicot, qui avait commis et supervisé tous les viols.
En 3 mois et 17 jours, Gisèle Pelicot est devenue, à son corps défendant, une héroïne féministe à travers le monde. Des rassemblements de soutien ont été lancés dans des centaines de villes, des graffitis à l’effigie de Gisèle ont décoré des milliers de murs et des articles écrits dans le monde entier. « Pour que la honte change de camp » est devenu un slogan qui donne des frissons à l’heure d’écrire ces lignes.
J’ai vu des jeunes militantes aller faire des collages féministes pour la première fois, et j’ai été émue. Gisèle a porté un combat dans lequel tant de femmes se sont reconnues. Des milliers de femmes ont suivi jour après jour le procès, se sont déplacées jusqu’à Avignon pour lui apporter leur soutien, pour dire que même si nos violeurs à nous ne sont pas sur le banc des accusés, au moins pour une fois certains le sont. Jusqu’à aujourd’hui, les seuls procès pour viols médiatisés avaient pour protagonistes des personnes célèbres. (...)
Cet article n’a pas pour prétention d’être une analyse ou une étude des enseignements à tirer de ce procès. Il n’a pas la prétention de prendre du recul sur ces mois passés. Ce n’est peut-être qu’un exutoire, une manière de comprendre les émotions qui m’ont (comme peut-être d’autres femmes ?) traversée ces 3 derniers mois. D’esquisser quelques pistes de réflexion. Le temps du recul viendra plus tard.
Lorsque j’ai démarré cet article, j’ai pensé en faire un pamphlet anticarcéral. Parce que je refuse de me réjouir que 51 personnes aillent passer des années en prison. Parce que dans nos milieux militants autonomes, la lutte contre les prisons fait partie de nos combats. Et puis j’ai lu les premiers articles, entendu les premiers cris de joie. J’en ai parlé à des camarades, qui eux aussi m’ont dit que ce n’était pas le moment. Et j’ai changé d’avis. J’ai réalisé que l’enjeu était que dans une société où moins de 1% des viols sont condamnés, ici 100% des inculpés l’ont été.
L’enjeu était que même si nos violeurs à nous ne seront jamais inquiétés, ceux là le sont. Et cela porte en creux un espoir. Il ne s’agit pas de dire que nous allons mettre tous nos agresseurs en prison, ni que ces condamnations sont la victoire finale des femmes sur la société patriarcale. Mais un moment où on peut reprendre notre souffle avant de s’engager dans la suite de la bataille. (...)
Des années après #MeToo, ce procès a permis de parler de viols avec des personnes avec qui on ne l’avait jamais fait. Le procès de Mazan a infiltré les murs des cafés, les déjeuners du dimanche, les pauses clopes des entreprises. J’en ai parlé avec mon père, ce qui était impensable il y a quelques années. Gisèle nous a permis de pouvoir dire : moi aussi.
Le concept de Rose Lamy, du compte Instagram « Préparez vous pour la bagarre », est à présent rentré dans le langage commun et « les bons pères de famille » sont tombés de leur piédestal. Il a bien fallu admettre que les violeurs n’étaient pas des monstres en-dehors de la société, mais des messieurs tout le monde. Ce qu’on se tuait à expliquer depuis des années a enfin pu être entendu. Parce que les chiffres existent depuis des années : 91% des victimes de viol connaissent leur agresseur. Mais les chiffres ne suffisaient pas. Il a fallu Gisèle pour qu’on accepte d’en parler.
Le procès a également permis de reparler de la notion de consentement (...)
Le tribunal a tranché (...) Il n’existe pas de « droit à l’erreur de violer sans intention, de violer par accident, de violer involontairement, de violer par bêtise, de violer par inculture ».
La défense a souvent été d’une indécence crasse. Certain-es avocat-es n’ont pas hésité à demander à Gisèle si elle n’y avait pas pris un peu de plaisir. (...)
Ce procès nous a aussi permis de sortir des milieux militants féministes des questions qu’on se pose depuis des années, et d’en faire des questions sociétales. Pourquoi est-ce que les hommes violent ? Comment faire pour qu’ils ne violent plus ? Lorsqu’on voit l’un des avocats de la défense jeter à la face des femmes devant le tribunal un « merde, mais avec le sourire », on sait que le chemin est encore long. (...)
comment faire pour s’emparer politiquement des questions soulevées ces trois derniers mois ? Comment en faire un sujet porté par l’ensemble de la société, et pas uniquement par les milieux féministes ? Parce que, ne nous voilons pas la face, les faits sont là : devant le tribunal d’Avignon, dans les rassemblements de soutien, une écrasante majorité de femmes. Et tant que seule la moitié de la population se sentira concernée, la culture du viol n’a aucune chance d’être dépassée.
Gisèle a voulu que ce procès soit public. Dans une société où la culture du viol est portée comme un art de vivre à la française, elle a osé dire qu’il fallait que la honte change de camp. Gisèle a ouvert une brèche avec son courage hors norme. À nous maintenant d’en être dignes.