
(...) À l’intérieur de la salle, une pesanteur, une atmosphère lourde. Sur une centaine de places, plus de la moitié est occupée par les accusés (dont 14 comparaissent détenus dans un box) et leurs avocats. Si les places viennent à manquer, on peut se retrouver assis à côté de l’un d’entre eux. On sent leur parfum, on entend chacun de leurs ricanements, on voit les petits sourires échangés. Certains accusés regardent plus ou moins fixement les femmes présentes dans la salle.
(...) Les femmes, surtout, font part de leur inconfort à être parmi autant d’hommes accusés d’avoir commis les atrocités détaillées pendant l’audience. « Quand je vois ça, je me dis que j’ai bien fait de ne pas porter plainte », confie l’une d’elles qui semble particulièrement touchée, en écho au constat fait par Gisèle Pelicot lors d’une de ses déclarations. (...)
Nous sommes toutes unanimes pour saluer le calme dont fait preuve Gisèle Pelicot., qui fait face à ses dizaines de violeurs, dont elle découvre le visage à l’occasion du procès. (...) (...) (...)
Au bout d’une semaine de présence au procès, une tension croissante s’installe, qui ne se limite pas aux murs de la salle d’audience. Devant le tribunal, des petits groupes d’accusés profitent d’une « pause clope » pour insulter les journalistes dont ils ne supportent plus la présence.
La majorité d’entre eux portent un masque chirurgical pour cacher leur visage, certains mettent des lunettes de soleil et d’autres, une capuche bien serrée autour de la tête pour être sûr de ne pas être identifié. Il leur arrive quotidiennement de frapper une caméra ou de menacer et intimider un journaliste ; l’un d’entre eux a déclaré, en pleine audition devant la cour, entre deux sanglots, « on me filme, on me traite de violeur alors que je suis présumé innocent ! Nul n’est censé ignorer la loi ! ». (...)
C’est dire si la honte a changé de camp. Va-t-elle finir par les atteindre, eux qui se barricadent sous les inversions de culpabilité et une victimisation constante ? La honte pourrait-elle traverser le mépris dont dégouline Dominique Pelicot, qui affirme qu’on « ne naît pas pervers, on le devient » ? Une épaisse misogynie se mêle à la tension ambiante. Un accusé m’adresse un doigt d’honneur, face à moi depuis son box, après m’avoir fixé pendant toute une journée. Ce sont les regards qui pèsent le plus lourd, et ils ne nous lâchent pas. (...)
Un accusé s’est carrément tourné depuis son box pour regarder avec insistance deux consœurs, et ce, pendant plusieurs heures d’audience. Un autre encore agresse verbalement et menace ces deux mêmes consœurs à l’entrée de la salle, alors qu’elles se retrouvent un peu à l’écart, parce qu’il pense qu’elles sont en train de le filmer. Alors, on met implicitement quelques mesures en place, pour pouvoir travailler « normalement » si tant est que ce soit possible, en tout cas en essayant d’oublier pour quelques instants qu’on est une femme.
Un « boys club » qui se croit victime
Mais le sexisme est omniprésent, que ce soit dans les faits qui sont au cœur de ce procès, ou dans le comportement des accusés. On ne peut pas l’ignorer, surtout quand on le subit même quand la journée de travail est terminée. Les accusés se connaissaient déjà pour certains, et pour les autres, des liens fraternels se créent au fil des jours. Ils se regroupent sur les terrasses aux abords du tribunal pendant les pauses déjeuner, ils se soutiennent. Ils forment un « boys club » qui se croit victime d’une manipulation, et par cette prétendue certitude, affirme avoir été « piégé ». Quelques-uns seulement font profil bas.
Leur nombre important engendre une sorte de déséquilibre dans la salle, un rapport de force face aux parties civiles (Gisèle Pelicot, ses trois enfants et ses belles-filles) et leurs deux avocats, dont l’infériorité numérique est flagrante. (...)
La quatrième semaine du procès est marquée par le nombre réduit d’accusés désormais présents au tribunal. Le président a accordé des dispenses à tous ceux qui ne sont pas concernés par les débats de la semaine. Ainsi, l’effet “boys club” est rompu, les profils bas sont de mise, et l’atmosphère dans la salle d’audience perd un peu de sa pesanteur. Les auditions des accusés vont s’enchaîner dans les semaines à venir. Chaque jour, on découvre un nouveau profil de « monsieur tout le monde ». (...)
La société est peut-être en train de comprendre que ces hommes correspondent finalement eux aussi à « l’image » qu’on peut se faire d’un violeur, bien qu’eux-mêmes ne semblent pas en être conscients. (...)