Même au-delà des frontières de l’Hexagone – et peut-être plus encore – le dernier ouvrage de Nicolas Sarkozy fait polémique. Hassen Jaied, entrepreneur franco‑tunisien du monde de l’édition et de la librairie en Tunisie, se passionne pour les mutations de l’industrie. Il pose les bases de principes ethiques et moraux dans le commerce du livre, et ses librairies en particulier.
Il est des livres qui éclairent le monde. D’autres qui tentent de l’embellir. Et puis il y a ceux qui cherchent à le tordre. La récente publication du dernier ouvrage de Nicolas Sarkozy, écoulé à près de 100.000 exemplaires, n’est pas un simple succès éditorial. C’est un acte politique, pensé comme tel, déployé comme outil de contre-attaque personnelle, dans un contexte judiciaire d’une gravité exceptionnelle. (...)
Il ne s’agit pas ici d’un ancien président retiré de la vie publique, méditant sur le temps long ou livrant des souvenirs apaisés. Il s’agit d’un homme condamné en première instance, incarcéré, puis remis en liberté, dans l’attente de son jugement en appel, dans une affaire touchant au cœur même de la souveraineté démocratique française. Un ancien chef de l’État privé de liberté par décision de justice : le fait est suffisamment rare pour être nommé sans détour.
Cette condamnation suivie d’une incarcération constitue un séisme institutionnel majeur. Certes, la procédure d’appel est en cours et la décision n’est pas définitive. Mais il serait intellectuellement malhonnête de faire comme si la justice ne s’était pas prononcée. Une juridiction a jugé, condamné et ordonné l’exécution d’une peine. Le reste relève désormais des voies de recours, non de la communication politique.
C’est précisément dans cet intervalle, entre condamnation et appel, que paraît ce livre. Et c’est là que le problème commence. (...)
Non parce qu’un homme condamné écrirait : ce droit est absolu.
Mais parce que ce livre n’est pas un texte de réflexion.
C’est un instrument de revanche.
Une revanche contre les juges, dont la légitimité est insinuée comme suspecte.
Une revanche contre la presse d’investigation, décrite comme obsessionnelle ou malveillante.
Une revanche contre une société à qui l’on intime de compatir plutôt que de juger.
Nous ne sommes pas face à une œuvre, mais face à une stratégie.
Le livre comme tribunal parallèle (...)
Une pression sur l’État de droit
Lorsqu’un ancien président, disposant d’un accès privilégié aux médias, transforme l’édition en outil d’auto-défense, il ne cherche pas à comprendre ce qui lui arrive. Il cherche à reprendre le pouvoir symbolique. Le message est limpide : quels que soient les faits, quels que soient les jugements, l’histoire devra lui donner raison. (...)
Or, dans une démocratie, le succès commercial ne fait pas jurisprudence.
La responsabilité écrasante des maisons d’édition
Ce succès éditorial n’est pas neutre. Il repose sur une chaîne de connivences : puissance d’un grand éditeur, dispositifs promotionnels massifs, interviews sans contradiction réelle, mise en scène permanente de la victimisation. Le livre n’est plus évalué pour ce qu’il dit, mais pour qui le signe.
À ce stade, l’éditeur ne joue plus le rôle de médiateur critique. Il devient l’allié objectif d’une stratégie de revanche politique. (...)
Une dérive plus large
Ce cas n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une dérive plus large : celle de l’instrumentalisation du livre par des écosystèmes politico-médiatiques intégrés, où l’écrit vient offrir une façade intellectuelle à des entreprises de réhabilitation, de normalisation ou de revanche.
Le livre devient l’ultime refuge d’une autorité contestée, la dernière scène où l’on peut encore imposer son récit quand le droit résiste.
Il faut donc le dire clairement, sans ambiguïté : un livre ne remplace pas un jugement. Un succès en librairie n’efface pas une condamnation. La littérature ne peut servir de tribunal parallèle. (...)