
Face à une situation politique bloquée, une réalité s’impose aux responsables politiques du Nouveau Front populaire : l’heure de la recomposition unitaire a sonné. Il n’est plus temps de tergiverser, mais bien de s’y mettre concrètemen
Pour la gauche, au sortir de ces législatives anticipées, le temps de l’espérance a vite tourné court, avec un brutal retour aux affres du présent. À peine victorieux, le Nouveau Front populaire (NFP) se cogne déjà à la réalité électorale d’un pays divisé en trois blocs et à la volonté des macronistes de contourner la défaite.
Déjà apparaissent les tempéraments divergents, entre celles et ceux qui veulent gouverner sur la base du seul programme du NFP, au risque de ne rien pouvoir faire voter, et celles et ceux qui envisagent de se mêler à un gouvernement technique afin d’obtenir malgré tout de petites victoires.
Certain·es imaginent un NFP qui s’élargirait à des macronistes « de gauche » venant se rallier au panache du Nouveau Front populaire. D’autres envisagent enfin d’un bon œil la volonté élyséenne de poursuivre sa clarification en construisant une coalition avec la seule droite. Afin de laisser du temps au temps, pour enfin s’unifier autrement que dans l’urgence. (...)
Ce casse-tête institutionnel auquel est désormais confronté le NFP ne doit pas faire oublier une leçon essentielle du scrutin législatif. Quand tout semble perdu, la gauche française, dans sa diversité, parvient encore à éviter l’abîme, et démontre sa capacité de remobilisation militante et électorale. La perspective de la prise du pouvoir par l’extrême droite a agi comme un électrochoc, ainsi que l’a montré la solidité retrouvée du barrage républicain. (...)
Quel que soit le destin très proche de la gauche par rapport au pouvoir, elle doit à tout prix et dès maintenant penser et mettre en branle son futur, bien au-delà des arcanes parlementaires. Si les jours qui arrivent diront beaucoup de la solidité du NFP d’« en haut », édifice aux fondations fragiles, sa consolidation « par le bas » ne pourra pas être contournée dans les semaines et mois à venir, après l’avoir déjà été en 2017 puis 2022.
La force de l’évidence et du moment (...)
La grande dépression militante de ces vingt-cinq dernières années est en passe d’être stoppée. Certes, signe d’une bataille culturelle perdue, les relais classiques de la gauche ont périclité, des syndicats de travailleurs marginalisés (ou syndicats d’étudiants annihilés) jusqu’aux partis dépeuplés, en passant par un univers médiatique accaparé par les oligarques. Et les mobilisations sociales comme les manifestations de masse sont plus rares, se concentrant sur les retraites mais allant de défaite en défaite.
Mais là encore, il n’est pas interdit d’espérer l’émergence d’un quelque chose de changé qui rendrait l’air plus léger. Les signes de renouveau sont là. Le dernier mouvement des retraites a su renouer avec l’unité, l’inventivité et la masse. Un mouvement social comme celui des « gilets jaunes » a intensément porté la question démocratique. De nouvelles pratiques militantes irriguent la gauche, qu’elles soient écolos (des ZAD aux Soulèvements de la Terre, en passant par les mouvements climat) ou issues des quartiers populaires (des collectifs contre les violences policières aux marches contre l’islamophobie).
Les questions féministes comme LGBT impactent de plus en plus les appareils politiques. La représentation de la diversité sociologique du pays dans les partis et parmi les candidat·es progresse, même lentement, en tout cas n’est plus vue comme une exigence absurde. Alors que le syndicalisme étudiant se renouvelle et que Sophie Binet offre un nouveau visage à la CGT, un écosystème médiatique indépendant se construit patiemment et ébranle parfois le quasi-unanimisme conservateur ambiant. (...)
L’attente est sensiblement la même, vingt-sept ans après l’arrivée au pouvoir du gouvernement Jospin de gauche plurielle, et près de vingt ans après l’échec de la Constitution européenne. (...)
la forme esquissée par le NFP est prometteuse. À la fois dans son intention de brasser large, de Poutou à Hollande, comme dans celle d’affirmer son attachement à un socle programmatique. (...)
Avantage non négligeable du moment : pour la première fois depuis trente ans, aucune des composantes de l’actuel Nouveau Front populaire ne peut prétendre à l’hégémonie interne. (...)
La sincérité indispensable à une coalition durable et rénovée
Les forces politiques qui ont su se regrouper pour leur survie électorale en 2022, puis pour empêcher le Rassemblement national (RN) d’accéder au pouvoir en 2024, semblent désormais capables de proposer une alternative unitaire durable et désirable à la fracturation mortifère de la gauche. Reste à savoir si cette sincérité rassembleuse n’est pas feinte. Et à espérer qu’elles se départissent des réflexes boutiquiers qui les ont jusqu’ici condamnées à rester à la porte du pouvoir sans jamais l’exercer. (...)
Le besoin est urgent d’un renouvellement militant ET d’un cadre démocratique unitaire, ouvert aux sympathisant·es et à la société mobilisée, pour ne plus se lamenter sur les déprimantes batailles de chapelles d’une gauche archipélisée. Un lieu de formation et de controverse politiques capable de dégager une décence et une grammaire communes, pour ne plus revivre les errances dépolitisées du social-libéralisme et les dérives personnalisées de la gauche radicale.
Il est temps de laisser la place aux jeunes, aux femmes, aux premiers et premières concernées des discriminations – sociales ou ethno-raciales – contre lesquelles on lutte, à celles et ceux qui vivent ou ont vécu d’autre chose que de la politique. (...)
Celles et ceux qui ont naufragé la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) doivent apprendre de leurs erreurs et s’atteler à une réelle structuration du NFP. Grand parti, plateforme, fédération, bloc… : qu’importe la structure, elle devra ne pas craindre le bouillonnement et la critique internes, la mise en scène de désaccords comme la célébration de points d’accord ; elle devra accepter la transparence de ses débats, s’ouvrir aux expertises universitaires, syndicales ou associatives, voter sereinement ses orientations, organiser collectivement ses campagnes électorales. (...)
Inventer un leadership collectif dans la jubilation démocratique
Le NFP ne peut pas être une coquille vide abandonnée aux querelles d’egos dirigeants, comme l’a été la Nupes. Une gauche ambitieuse et réunie doit le faire savoir et assumer des campagnes massives de recrutement. Elle doit aussi mobiliser et intégrer le savoir-faire de toute une diversité de collectifs militants pour assurer une formation interne dynamique, une pratique du porte-à-porte hors les périodes de campagne électorale, l’organisation de l’éducation populaire, l’engagement associatif et syndical comme le social-organizing…
Sauf si – hypothèse improbable – les prochains mois faisaient advenir un ou une leader incontestée, l’usage des primaires doit aussi interroger celles et ceux qui les ont jusqu’ici moquées ou dévoyées. (...)
Il s’agirait, en somme, de gouverner en interne comme on entendrait gouverner le pays. Et cet attachement à la question démocratique doit se retrouver dans l’ambition institutionnelle du NFP.
La démocratie participative, l’usage des référendums d’initiative populaire ou des votations citoyennes sont autant de modes de gouvernance à explorer, pour revivifier une coalition de gauche comme pour régénérer une Ve République à la ramasse. Dans un cas comme dans l’autre, la gauche politique ne doit plus avoir peur de la société mobilisée, mais elle doit bien au contraire s’organiser avec elle en acteur démocratique conquérant. Prêt à croire à nouveau aux forces de l’esprit unitaire.