
« Nous estimons qu’il appartient au peuple kanak de déterminer librement son avenir », déclarent un ensemble de juristes et avocats. « Partisans du droit à l’autodétermination, nous estimons que, “restaurer le processus politique”, comme le prétend le gouvernement, suppose nécessairement, au préalable, l’abandon des mesures attentatoires aux libertés prises par l’Etat ».
Depuis bientôt une année, l’Etat colonial français poursuit sa politique répressive en Kanaky, au mépris des droits les plus fondamentaux.
En février, le gouvernement a annoncé la reprise du dialogue sur le sort de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, avec des entretiens bilatéraux.
Pour cela, le Premier ministre a confié au ministre des Outre-mer la mission de “restaurer le processus politique”.
Peut-il y avoir restauration d’un « processus politique », sans que ne soit abordée la question du rétablissement des droits les plus fondamentaux sur l’archipel ?
Si, au printemps dernier, le gouvernement avait été contraint de renoncer au projet de réforme constitutionnelle en vue du dégel du corps électoral en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, il n’a pas pour autant renoncé à la mise en œuvre de mesures particulièrement attentatoires aux libertés du peuple Kanak. (...)
À la mi-janvier 2025, le Procureur rendait publics les chiffres suivants : 2 600 gardés à vue (soit 1 kanak sur 100), 502 personnes présentées au parquet pour poursuites judiciaires, 243 Kanak incarcérés, 650 convoqués en justice, 30 informations judiciaires ouvertes et 520 personnes faisant l’objet d’alternatives aux poursuites (c’est-à-dire que leur culpabilité était retenue sans pour autant qu’elles soient jugées par un tribunal).
Le 22 juin, 11 militants politiques et syndicaux (dont Christian Tein, élu depuis à la tête du FLNKS) étaient mis en examen, dont 7 placés en détention provisoire et transférés vers la métropole, le procureur estimant alors que les faits « relèvent d’un mouvement insurrectionnel, sur fond de radicalisation identitaire ».
Ce n’est que le 28 janvier 2025 que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a finalement fait droit à la demande de dépaysement de ce dossier, le parquet s’y étant toujours refusé.
Plus globalement, depuis le mois de mai 2024, une soixantaine de prisonniers a été transférée dans l’Hexagone, à 17 000 km de leurs familles.
À partir du mois d’août 2024, et dans un contexte de tensions, le Haut-Commissaire de la République « verrouillait » la route servant d’axe de communication entre Nouméa et le sud de la Grande Terre, interdisant de facto à des milliers de personnes de se déplacer pour se rendre dans les écoles, sur leurs lieux de travail ou à des rendez-vous à l’hôpital et créant d’importants problèmes d’approvisionnement.
Depuis 10 mois et encore à ce jour, des arrêtés portant interdiction générale de manifester sur le territoire des communes principales de l’archipel sont prononcés sans discontinuité, empêchant toute expression collective sur la voie publique.
Sont par ailleurs prises des mesures sociales pénalisant directement les kanak.
A partir du mois de juin 2024, la Province Sud a supprimé les aides alimentaires, suspendu l’aide médicale gratuite et a fermé plusieurs dispensaires. Ainsi, au début de l’année 2025, l’allocation de rentrée scolaire et l’aide au transport scolaire ont été supprimées ; l’aide allouée pour le financement de la cantine scolaire a été quant à elle drastiquement diminuée, conduisant de nombreuses familles à devoir choisir entre financer le repas à la cantine et financer le transport scolaire, contraignant de nombreux enfants à parcourir plusieurs kilomètres à pied, matin et soir, pour se rendre à l’école. (...)
De manière inédite, beaucoup d’inscriptions scolaires sont désormais refusées, sur la base de prétextes vétilleux rejetant par exemple la possibilité de justifier d’une adresse à l’aide d’une attestation d’hébergement. De nombreux élèves demeurent ainsi déscolarisés. (...)
Déjà en août dernier, un collège d’experts de l’ONU s’était alarmé de la situation faite aux kanak, estimant que « la tentative de démantèlement de l’Accord de Nouméa porte gravement atteinte à leurs droits humains et à l’intégrité du processus global de décolonisation ». « Le gouvernement français n’a pas respecté les droits fondamentaux à la participation, à la consultation et au consentement libre, préalable et éclairé des Peuples Autochtones kanak et de ses institutions, y compris le Sénat coutumier », a-il averti, en indiquant que, par ailleurs, la situation « soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’état de droit ».
Dans la même ligne, nous, juristes et avocats, estimons qu’il appartient au peuple kanak de déterminer librement son avenir. Partisans du droit à l’autodétermination, nous estimons que, « restaurer le processus politique », comme le prétend le gouvernement, suppose nécessairement, au préalable, l’abandon des mesures attentatoires aux libertés prises par l’Etat, le retour en Kanaky des prisonniers politiques détenus en métropole ainsi que l’arrêt immédiat des poursuites à l’encontre des militants de la cause kanak. Il faut parallèlement, que la lumière soit faite sur l’assassinat, par des miliciens, de militants et jeunes kanak.