
Il faut avoir le « courage politique » de plaider pour une réduction de la consommation de viande. Selon Brigitte Gothière, présidente de l’association antispéciste L214, cela améliorerait les conditions de travail des éleveurs.
(...) Brigitte Gothière :
le monde agricole est en crise depuis des décennies, suspendu par un fil au bord du gouffre ! Les agriculteurs sont dans des situations de détresse de plus en plus intenses. Ce n’est pas la seule profession en souffrance aujourd’hui, le manque de considération touche beaucoup de secteurs de notre société malheureusement.
Je vais enfoncer des portes ouvertes, mais je rappelle qu’il y a 18 % des ménages agricoles qui vivent sous le seuil de pauvreté [selon l’Insee] (malgré les subventions massives). Le taux de suicide de la profession est ahurissant, avec deux suicides par jour [1]. (...)
Il y a une tentative de certaines personnes de mettre dos à dos les agriculteurs et les écolos, ou les éleveurs et les défenseurs des animaux, comme s’il y avait une incapacité à se parler. Nous avons effectivement des visions, des trajectoires et des points d’arrivée divergents concernant le modèle agricole et alimentaire souhaité. Nos différends concernent les systèmes, en aucun cas les personnes.
Nous ne nous en cachons pas : avec L214, nous avons une vision où, à terme, les animaux ne sont plus des ressources à notre disposition. Pour l’heure, nous portons l’objectif consensuel d’atteindre -50 % d’animaux tués (dans les abattoirs comme dans les filets de pêche) d’ici 2030. (...)
Une politique de réduction de la consommation de viande réunit plusieurs conditions.
Premièrement, pas d’importations de produits moins-disants, qui ne respectent pas les normes sociales, environnementales et de condition animale en vigueur en France. Les importations représentent jusqu’à 40 à 50 % de la consommation de viande en France (notamment les poulets). Stoppons également les importations de céréales et légumineuses destinées à l’alimentation « du bétail ». Cette première condition nous permettra de sortir de la fragilité alimentaire dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Deuxièmement, changeons notre environnement alimentaire (...)
Troisièmement, n’autorisons pas les prix d’achat aux éleveurs en dessous des coûts de production. La viande n’est pas un produit de première nécessité, son prix n’a pas à être minoré. (...)
Quatrièmement, les subventions doivent être dirigées vers la transition et non un maintien d’un statu quo.
Diminuer le nombre d’animaux tués de 50 %, c’est aussi l’opportunité d’engager la sortie de l’élevage intensif : aujourd’hui 8 animaux sur 10 proviennent de ces élevages. Cela signifie par exemple moins de produits médicamenteux parce que les conditions d’élevage sont moins pires pour les animaux, la pression sanitaire diminue. Ce sont des charges moins lourdes. (...)
Des structures moins grandes, ça voudra aussi dire plus d’éleveurs (...)
C’est un modèle qui sera moins néfaste pour les éleveurs, les ouvriers d’abattoirs, et toutes les personnes qui travaillent dans ce domaine… et pour les animaux aussi.
(...)
Il y aurait moins de pression sur l’environnement, moins de ressources utilisées (eau, sols), moins d’engrais et de pesticides (énergies fossiles). Le modèle qu’on propose est bien plus vertueux : la sobriété sans se priver de bien manger ! Par ailleurs, ce sont les animaux vivants qui nous apportent des services écosystémiques (leurs déjections peuvent être utilisées comme engrais, par exemple), pas ceux qu’on envoie à l’abattoir. (...)
C’est un changement de paradigme. Dans un premier temps, il faut déjà se mettre en route pour la fin des importations de produits moins-disants, la réduction de la consommation de viande, et imposer que les prix d’achat des produits soient au-dessus des coûts de production. La viande sera donc plus chère, mais on en consommera moins. (...)
Sans réduction de la consommation de viande, on va au-devant de crises alimentaires majeures, de gros problèmes de gestion de l’eau dus aux changements climatiques (...)
on a assez peu confiance en ce gouvernement ou en la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles]. Arnaud Rousseau, son président, ne représente absolument pas les agriculteurs, il représente les grands groupes agro-alimentaires. On peut rappeler que les géants comme Lactalis ou LDC affichent des bénéfices records ces dernières années.
La FNSEA prône un « modèle de fragilité alimentaire » (...)
il faut se diriger vers davantage de végétal. Même en étant indifférent au sort des animaux, la réalité va s’imposer ! (...)
on va juste droit dans le mur. Nos sols s’épuisent, les ressources en eau vont se faire plus rares, le climat change. De gré ou de force, l’agriculture va changer. Donc soit on y va dès maintenant en étant accompagné, avec un vrai plan de transition, soit ça se fera de force avec des dégâts immenses parce qu’on n’aura rien anticipé. (...)