En réaction au succès de l’article de Rob Grams consacré à ce que Marine Tondelier incarne politiquement – une écologie bourgeoise essentiellement compatible avec le macronisme – des centaines de ses partisans sont venues nous accuser de “faire le jeu de l’extrême droite”. Face au péril du RN, très haut dans les sondages, l’extrême-droitisation du débat public et, c’est nous qui l’ajoutons parce que ces gens le passent généralement sous silence, le déjà-là fasciste en France, il faudrait faire bloc “à gauche” et s’abstenir de toute critique sur la complaisance de certains de ses candidates et candidats avec le capitalisme ou la pensée dominante. J’irai droit au but : je pense tout l’inverse.
Je crois que cet argument, utilisé parfois de mauvaise foi pour nous silencier, parfois de bonne foi face à une inquiétude réelle, doit être retourné : c’est parce que le fascisme est présent tout autour de nous qu’il faut redoubler d’exigence envers ce qu’il est convenu d’appeler “la gauche”. Ce terme regroupe en théorie les partisans de l’égalité, de la liberté et de l’acceptation des différences mais dans les faits des partisans du capitalisme et des gens qui pensent qu’il faut en sortir. Le meilleur antifascisme possible c’est l’existence d’une gauche anticapitaliste décomplexée, qui ne s’excuse pas de l’être, qui décrit le réel dans des termes clairs, qui n’a pas peur de dire “bourgeois”, “capitalisme”, “colonialisme” et “patriarcat”, et qui prône une rupture avec le désespérant système actuel. Si l’on se replie au contraire sur un consensus mou autour du plus petit dénominateur commun, si l’on ne propose que des micro-mesures ou pas de mesures du tout, pour espérer ne pas se marginaliser dans un débat public tiré artificiellement mais efficacement à droite, alors nous disparaitrons. Face à l’extrême droite qui dessine un puissant cauchemar, il nous faut rêver grand, très grand.
Déplacer la fenêtre d’Overton à gauche, mode d’emploi
“Ce que désigne la fenêtre d’Overton, nous dit Clément Viktorovitch, c’est l’ensemble des opinions qui sont considérées comme dicibles, acceptables au sein de l’opinion publique. L’ensemble de ce que l’on peut dire en tant qu’acteur du débat public sans être immédiatement frappé d’opprobre, sans être immédiatement renvoyé au banc du débat public. Et donc, toute l’idée de cette fenêtre, c’est qu’elle est dynamique, elle s’élargit, elle se contracte, elle se déplace.”
La fenêtre d’Overton s’est déplacée à droite, je n’apprends rien à personne. C’est particulièrement le cas sur les questions d’immigration et sur les questions socio-économiques. Vouloir accueillir dignement les étrangers en France fait de vous une personne terriblement d’extrême gauche et imaginer la nationalisation de certains secteurs clefs de l’économie – idée absolument centrale voire consensuelle après la Seconde Guerre mondiale – vous place dans le camp des extrémistes. Le centre lui-même s’est déplacé à droite, si on l’identifie à Macron, qui est un homme profondément réactionnaire et hostile à la démocratie.
Face à ce phénomène, que faire ? Des politiques qui n’ont qu’une vision électoraliste de leur rôle, c’est-à-dire qui estiment que, dans l’intérêt de leur boutique, il faut obtenir le plus de voix possibles, vont suivre la direction du déplacement de la fenêtre d’Overton, en défendant, quand ils sont de gauche, des propositions de plus en plus timorées voire en adoptant des idées de droite pour espérer gagner des voix du côté de cet électorat, comme l’a fait le “communiste Fabien Roussel” en parlant d’assistanat et en critiquant le RSA. C’est un cercle vicieux : ils contribuent à déplacer la fenêtre à droite puisqu’ils effacent les propositions de gauche où les ramollissent.
Pour ramener la fenêtre d’Overton à gauche, c’est basique mais pas grand-monde ne le fait, il faut, au moins, tenir ferme sur ses positions et, au mieux, investir des idées et des mesures encore plus à gauche. (...)