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« Poser un contre-narratif à l’idée d’invasion »
#migrants #immigration #exiles #USA #frontieres #boucsemissaires
Article mis en ligne le 27 décembre 2024
dernière modification le 24 décembre 2024

Co-animatrice du site The Border Chronicle, Melissa del Bosque dissèque de longue date l’emballement politico-médiatique autour des questions migratoires aux États-Unis. Elle nous parle de son travail sur la frontière États-Unis/Mexique peu avant la victoire de Trump aux présidentielles.

Border Chronicle est un média né de la rencontre entre Melissa del Bosque, journaliste couvrant la frontière depuis les années 1990 au Texas, et Todd Miller, effectuant le même travail en Arizona. Désormais installé·es à Tucson, iels ont uni leurs forces pour éclairer l’actualité de la frontière sur le long terme. Les articles et podcasts publiés sur leur site proposent des analyses qui dépassent le traitement d’événements façon breaking news, pour laisser de la place à l’histoire et aux contextes, aux paroles et témoignages de celleux qui vivent la frontière. Une barricade faite de récits pour tenter de contrer les discours sécuritaires qui s’appuient sur le mur et gagnent toujours plus de terrain. Entretien avec Melissa del Bosque.

Quand avez-vous décidé de lancer ce média ?

« Le site a été mis en ligne en septembre 2021. On voulait que cette date renvoie au 11 septembre 2001, parce que c’est à partir de là que la frontière a vraiment changé, notamment avec la création du Department of Homeland Security [Département de la sécurité intérieure des États-Unis] et sa police dédiée, la ICE [Agence de police douanière et de contrôle des frontières]. À compter de cette date, la notion d’immigration a été complètement reconfigurée : tout était pensé en termes de sécurité nationale, de criminalisation, avec une attitude défensive de type “we’re under attack”. Une sorte de chaos sécuritaire. » (...)

Quelle évolution voyez-vous dans le traitement médiatique de la frontière ?

« Todd et moi avons commencé à écrire sur le sujet à la fin des années 1990 et les choses n’ont fait qu’empirer. Il y a tellement de désinformation que les gens sont perdus. Dans le monde entier, des politiques autoritaires se saisissent de la question migratoire et accèdent au pouvoir en s’appuyant sur des boucs émissaires. Mais la particularité des USA, c’est une grande méfiance vis-à-vis de l’histoire, même sur le court terme. Les événements du 6 janvier 20212 ont par exemple été normalisés, alors qu’ils étaient d’une gravité exceptionnelle : une tentative de coup d’État, ce n’est pas rien. Mais quand tu écris un article où tu parles de fascisme, on te répond de façon très violente. On te dit que tu dramatises, que tu es partisane. (...)

tout le monde s’est rangé sous une bannière neutre. Voilà comment aujourd’hui, les journalistes en arrivent à traiter Trump comme s’il était un politique lambda, normalisant ses positions qui sont d’une extrême radicalité. »

A priori, on a dépassé la neutralité... Comment la propagande de Trump sur le mur a-t-elle pu s’imposer à ce point ?

« Lors de son premier mandat, beaucoup de grands médias envoyaient des journalistes à la frontière avec une vision critique sur sa politique. Notamment sur la manière dont les familles étaient séparées. Mais ils sont partis quand Biden est arrivé au pouvoir. Il ne restait plus que les médias d’extrême droite comme la chaîne Fox News, qui ont tout de suite posé un discours très cadré, basé sur l’idée que les frontières seraient ouvertes sous Biden et qu’il y aurait une invasion. Une vision proche des tenants du grand remplacement (...)

Il faut dire aussi qu’il n’est plus vraiment question de parti républicain, mais d’un parti MAGA, radical, nationaliste, cleptocratique, corrompu. Et les influenceurs de cette mouvance adorent monétiser la question des migrations. Plus ils gagnent d’argent, plus ils se montrent agressifs, plus ils attirent d’attention et plus ils peuvent vendre en ligne divers produits. Parler migration est donc vendeur aussi bien politiquement que pour faire de l’argent, tandis que les algorithmes favorisent ce type de prise de parole. » (...)

La tactique des démocrates est de parler de frontières intelligentes, de technologies high-tech : cela passe mieux auprès des gens progressistes. Ils aiment prôner les tours de surveillance, les détecteurs, les drones, les caméras... Du matériel moins visible, mais qui pousse les personnes à traverser par le désert, où ils meurent. Le nombre de morts ne cesse donc de grimper3. C’est vraiment une dynamique bipartisane, avec les deux côtés investis dans le mur au sens large, au service d’un système économique où des entreprises touchent des millions de dollars. C’est comme une boule de neige dévalant la pente et devenant de plus en plus grosse. Et personne ne peut ou ne veut la stopper. » (...)

J’ai travaillé dans un environnement tellement conservateur au Texas que j’ai l’habitude d’avoir en face de moi des personnes désapprouvant absolument tout ce que je fais ou écris. Ma carrière entière a été une réponse à cela. Je me suis efforcée de placer le lecteur dans la peau de celui qui est en situation de migration. Cela permet d’aller contre les stéréotypes, et de montrer en quoi telle personne partage tant de choses avec toi et pourrait être toi. C’est probablement très naïf, mais il faut bien commencer quelque part. (...)

Ce pays a une tradition d’hostilité contre les migrants, qui se manifeste de manière cyclique. Rappelons qu’il a été fondé sur un génocide, rejetant le droit des natifs à vivre sur leurs terres. Nous sommes à la suite d’une longue histoire de narratifs excluants. » (...)

J’ai la sensation que c’est pareil partout dans le monde, en parallèle du gigantesque bouleversement en matière de technologie, de médias, de climat. Les gens veulent tout foutre en l’air et se raccrochent à des fantasmes. Même à gauche on entend des gens qui disent “merde, laissons-le gagner, qu’on reparte à zéro”. Le monde est trop abîmé pour un nouveau mandat de Trump. Quand tout sera en feu, certains demanderont : comment est-ce que ça a été possible ? »