Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Infomigrants
Pic migratoire de 2015, dix ans après (1/5) : retour à Lampedusa où l’humanité a laissé place à l’invisibilité des migrants
#Mediterranee #migrants #immigration #Lampedusa #naufrages
Article mis en ligne le 9 octobre 2025
dernière modification le 6 octobre 2025

Il y a 10 ans, le corps d’un enfant syrien est retrouvé inanimé sur une plage turque alors qu’il tentait d’atteindre la Grèce sur une embarcation de fortune. L’image du petit Aylan Kurdi fait alors le tour du monde et relance le débat sur l’accueil des migrants en Europe au moment où des milliers de Syriens fuient la guerre. Une décennie plus tard, InfoMigrants est retourné dans les endroits marqués par cet afflux migratoire sans précédent. À Lampedusa, île italienne emblématique des arrivées d’exilés depuis les côtes nord-africaines, les débarquements de canots et l’accueil des migrants sont désormais mieux organisés mais les acteurs associatifs déplorent un manque d’humanité.

(...) La presse n’est pas autorisée à pénétrer au port de débarquement et les migrants sont rapidement transférés vers le hotspot de l’île, d’où ils ne peuvent pas sortir. À travers les vitres des deux camionnettes de la Croix-Rouge, on aperçoit de nombreuses femmes, dont une enceinte, et plusieurs enfants en bas âge.
Terre d’accueil

Lampedusa, de part sa position géographique – elle se situe à environ 150 km des côtes de la Tunisie – a toujours été une terre d’accueil. C’est Marianna Rinaudo, présidente du comité de la Croix-Rouge de l’île, qui l’affirme : "Ici, c’est dans notre ADN d’aider les gens. C’est intrinsèque. Si quelqu’un arrive par la mer, tu te dois de lui donner un coup de main". Sur cette minuscule île de 6 000 habitants perdue au milieu de la Méditerranée, tous le disent : la loi de la mer prime sur le droit italien. Et tous les habitants ont un jour été confrontés à la question migratoire. La presse n’est pas autorisée à pénétrer au port de débarquement et les migrants sont rapidement transférés vers le hotspot de l’île, d’où ils ne peuvent pas sortir. À travers les vitres des deux camionnettes de la Croix-Rouge, on aperçoit de nombreuses femmes, dont une enceinte, et plusieurs enfants en bas âge.
Terre d’accueil

Lampedusa, de part sa position géographique – elle se situe à environ 150 km des côtes de la Tunisie – a toujours été une terre d’accueil. C’est Marianna Rinaudo, présidente du comité de la Croix-Rouge de l’île, qui l’affirme : "Ici, c’est dans notre ADN d’aider les gens. C’est intrinsèque. Si quelqu’un arrive par la mer, tu te dois de lui donner un coup de main". Sur cette minuscule île de 6 000 habitants perdue au milieu de la Méditerranée, tous le disent : la loi de la mer prime sur le droit italien. Et tous les habitants ont un jour été confrontés à la question migratoire.

Les premiers afflux notables de migrants ont commencé en 2011, à l’époque des printemps arabes. Au mois de mars, plus de 1 600 Tunisiens ont débarqué à Lampedusa en seulement 24 heures, et les autorités ont enregistré 10 000 arrivées de janvier à mars. C’est une nouvelle route : à partir de cette période, les débarquements n’ont jamais cessé. (...)

"Le camp ouvert est devenu un camp fermé"

Fin 2015, le tout premier hotspot au sein de l’Union européenne (UE) ouvre à Lampedusa, en remplacement de la structure existante. Qualifié de "centre d’enregistrement" des migrants par les officiels et de "centre de tri" par les ONG, le site regroupe plusieurs entités, comme Frontex (l’agence européenne de surveillance des frontières), l’Organisation internationale des migrations (OIM) ou encore le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). (...)

Désormais, en effet, les exilés sont presqu’invisibles. Ils sont rapidement orientés du port vers le hotspot et n’y restent que quelques jours avant leur transfert dans d’autres régions italiennes. (...)

"C’est mieux que les exilés ne passent plus des heures au port mais c’était aussi un moment d’échange. Là, tout va trop vite et on ne peut plus prendre le temps d’une accolade ou d’un geste amical", déplore Paola La Rosa, ancienne membre du Forum Lampedusa Solidale, un collectif d’habitants qui vient en aide aux migrants. Cette Sicilienne d’origine a préféré arrêter ses activités il y a cinq ans. "Je ne me retrouvais plus dans la manière de faire des autorités", dit-elle sobrement.

Un sentiment partagé par Valeria Passeri, de l’association Mediterranean Hope : "C’est mieux dans un sens car avant les gens pouvaient rester une semaine dans la structure. Mais là, c’est trop rapide. On s’interroge sur le niveau d’informations sur leurs droits auquel ils ont accès en quelques heures".

D’autant que depuis la crise sanitaire de 2020, les exilés ne peuvent plus sortir de la structure. "Ils ont utilisé l’excuse du Covid pour enfermer les gens. Avant, ils venaient nous voir dans nos locaux mais maintenant ce n’est plus possible. Ils sont totalement invisibilisés", ajoute la militante. "Le camp ouvert est devenu un camp fermé", abonde Giusi Nicolini. (...)

La structure est aujourd’hui délimitée par d’immenses grillages, et des militaires surveillent 24h/24 les lieux depuis des tours de contrôles surplombant le site. À l’entrée, des policiers en armes empêchent toute entrée ou sortie.

Jusqu’en 2020, il n’était pas rare de croiser des exilés dans les rues de Lampedusa. Désormais, les artères de la ville sont réservées aux habitants et aux touristes, qui peuvent passer leurs vacances sans jamais savoir ce qu’il se passe à quelques mètres d’eux. (...)

Le 3 octobre 2013 reste une date qui a profondément marqué Lampedusa. Cette nuit-là, au moins 368 personnes ont péri noyées après que leur chalutier surchargé a coulé au large de l’île. Le premier gros naufrage enregistré dans la région, le premier d’une longue série.

Pietro Bartolo, comme beaucoup d’habitants, s’en souvient comme si c’était hier. Douze ans après, l’émotion est encore vive. "Je m’occupais de l’identification des cadavres. Quand je suis arrivé au port, j’ai vu 111 sacs mortuaires. Les corps étaient dans un tel état de décomposition…". Le "médecin de Lampedusa" marque une pause, reprend son souffle, essuie ses larmes puis continue : "Ça ne s’arrêtait pas, les corps arrivaient sans cesse. Ce ne sont pas juste des chiffres, ce sont des êtres humains". (...)

"Lorsque les secouristes sont arrivés, ils n’ont trouvé qu’une mer de cadavres", avait écrit Amnesty international pour le 10e anniversaire de ce drame. "Les photos des cercueils – dont beaucoup de petits, de couleur blanche – alignés dans l’aéroport de Lampedusa ont choqué le monde entier et fait vaciller la conscience de l’Europe. Dans l’un de ces cercueils, il y avait une femme et son nouveau-né, encore reliés par le cordon ombilical".

Après ce naufrage, l’Union européenne lance l’opération de secours Mare Nostrum en Méditerranée, mais elle ne dure qu’un an. Elle est remplacée par un dispositif européen moins ambitieux, Triton, arrêté lui aussi en 2018, relayé par Themis puis actuellement par Irini. Aujourd’hui, les sauvetages en mer sont surtout assurés par les navires humanitaires, dont les actions sont largement entravées depuis l’arrivée au pouvoir fin 2022 de Giorgia Meloni, issue du parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia.

L’année suivant son élection, en 2023, plus de 2 500 migrants sont décédés en Méditerranée centrale, un chiffre jamais enregistré depuis 2017. "La situation est pire aujourd’hui. Il n’y a qu’à voir le nombre de morts, cela veut bien dire quelque chose", peste Giusi Nicolini. De ses cinq années à la mairie, certaines images la hantent encore : "On ne s’habitue jamais à voir un bébé mort."