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club de Médiapart/Flagrant Déni
« Permis de tuer » : Darmanin refuse d’obtempérer
#police #repression #LBD #Darmanin #violencespolicieres
Article mis en ligne le 9 novembre 2023
dernière modification le 8 novembre 2023

Le meurtre de Nahel a remis le débat sur le « permis de tuer » sur le devant de la scène médiatique. Et pour cause : les images de la scène rendues publiques montrent d’évidence un meurtre, injustifiable en droit. Comment a-t-on pu en arriver là ? A la lumière de l’actualité, l’inaction du ministère de l’Intérieur depuis 2017 apparaît d’autant plus coupable.

2017 : une nouvelle loi confuse… (...)

Avant 2017, les gendarmes disposaient d’un texte spécifique intégré au Code de la défense. Les policiers, eux, ne pouvaient utiliser leurs armes qu’en cas de légitime défense. (...)

En 2017, le nouvel article L435-1 du CSI vient jeter le trouble. D’un côté, il liste cinq cas de figure où les policiers et gendarmes peuvent faire feu : la légitime défense, la défense de leur position, la fuite ou évasion d’une personne, le « refus d’obtempérer » d’un véhicule, et enfin l’interruption d’un « périple meurtrier ». De l’autre, le même article rappelle qu’il ne doit y avoir de tir qu’« en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ». (...)

… transformée en « permis de tuer » par la police (...)

« L’instruction » DGPN affirme qu’il n’est désormais plus « exigé que l’individu menace immédiatement et directement soi-même ou autrui » pour tirer. Il en résulte « un assouplissement de la condition de simultanéité par rapport au droit commun de la légitime défense ». La DGPN insiste : le nouveau texte est « moins exigeant » sur « la condition de simultanéité ». Pour tous les policiers, le message est clair : il est possible de tirer même si le danger n’est pas « immédiat ».

Or, déjà à l’époque, cette interprétation est sujette à caution. (...)

la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) fait une analyse totalement opposée à celle de la police. L’ « instruction » du 1er mars 2017 distribuée aux gendarmes affirme qu’un tir ne peut répondre qu’à un danger « immédiat ».

2018 : pour la CEDH, pas de tir sans danger « actuel » (...)

Depuis l’arrêt Toubache, un tir de policier ou gendarme ne peut avoir lieu que si le danger auquel il répond est « actuel ». Exactement l’inverse de ce qu’affirme l’instruction de la DGPN à l’ensemble des policiers français. Pourtant, rien ne change.

Selon une procédure classique, la France doit régulièrement expliquer au Conseil de l’Europe (dont dépend la CEDH) comment elle met en pratique les arrêts de la Cour européenne. En août 2020, le Gouvernement affirme que la police « est en train de concevoir » une nouvelle formation. Il joint « l’instruction » du 1er mars 2017. Celle-ci est donc toujours en vigueur, deux ans après l’arrêt Toubache.

2021 : une nouvelle instruction qui maintient le flou

Ce n’est qu’en 2021 que la police « abroge » (c’est-à-dire supprime) l’instruction de 2017. Une nouvelle « instruction relative à l’arme individuelle ou de service » est diffusée le 26 mai 2021. (...)

Dans cette nouvelle instruction, les phrases sur l’« assouplissement » du cadre légal ont disparu. Mais le critère d’immédiateté imposé par la CEDH n’est toujours pas mentionné. (...)

En parallèle, la jurisprudence s’affirme. Cette fois, c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation (la plus haute juridiction française en matière pénale) qui intervient. Dans un arrêt rendu le 6 octobre 2021, elle affirme que « l’usage de l’arme » d’un policier ou gendarme « doit être réalisé dans le même temps que sont portées des atteintes ou proférées des menaces à la vie ou à l’intégrité physique des agents ou d’autrui ». (...)

2023 : il suffirait d’une nouvelle instruction…

D’après le décompte de Basta.media, 48 personnes ont été tuées par des tirs policiers entre l’instruction du 1er mars 2017 et la fin de l’année 2022. Les gendarmes eux, en ont tué 16 par balle sur la même période : trois fois moins. Des chercheurs ont démontré l’explosion des tirs policiers sur des voitures en fuite après 2017. Contactée par Flagrant déni, la DGPN a confirmé fin octobre que l’instruction de 2021 est toujours celle de référence. Le « permis de tuer » est toujours en vigueur dans la police.

L’article L435-1 du CSI a peu de chances d’être supprimé. Une proposition de la loi a été déposée en ce sens après la mort de Nahel. Mais le président de la commission d’évaluation de la loi a déjà déclaré publiquement qu’il est favorable au maintien du texte. (...)

sur le plan strictement juridique, une nouvelle loi n’est en réalité pas nécessaire. La Cour européenne puis la Cour de cassation ont posé un cadre strict et clair : l’article L435-1 doit être lu comme similaire au principe de légitime défense.

Reste à rappeler ce cadre aux policiers. Dans un rapport daté d’octobre 2023, le Conseil national des barreaux (CNB) pointe les conséquences des instructions internes diffusées aux policiers. Pour « éviter tout abus », le CNB recommande notamment que la DGPN diffuse « une doctrine claire, comme c’est le cas au sein de la gendarmerie nationale ». (...)

En attendant, les morts continuent. Darmanin « assume » de ne pas respecter la CEDH. Jusqu’à quand ?