
Alors que le gouvernement semble délibérément ignorer les nombreuses mobilisations des enseignants et des parents pour sauver l’école publique, des collectifs et des élus un peu partout en France se tournent chaque jour davantage vers la justice pour tenter d’enrayer la casse.
Le 10 avril dernier, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a reconnu la responsabilité de l’État pour des heures d’enseignement non remplacées. Cette décision fait suite à une jurisprudence du Conseil d’État datant de... 1988. 150 euros seront versés aux familles au titre du préjudice subi. Cette procédure est la première victoire du collectif #OnVeutDesProfs.
Quasiment au même moment, douze maires de Seine-Saint-Denis publiaient des arrêtés mettant l’État en demeure, dénonçant des carences « portant atteinte à la dignité de la personne humaine », et voulant ainsi contraindre l’État à engager un plan d’urgence pour l’éducation dans le département. Cette fois, le tribunal administratif de Montreuil ne leur a pas donné gain de cause, arguant que « les mesures adoptées ne paraissent pas relever des pouvoirs de police administrative du maire ».
Lundi 29 avril, une douzaine de familles affiliées à la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) 93 étaient également au tribunal de Montreuil pour réclamer un dédommagement à la suite des nombreuses heures de cours non remplacées durant l’année scolaire 2020-2021.
Joyce Pitcher, avocate du collectif #OnVeutDesProfs, s’est spécialisée dans la coordination de contentieux de masse. Aujourd’hui, dans son cabinet, les questions liées à l’inquiétude quant à la situation de l’école publique occupent « plusieurs centaines de dossiers dans plus de vingt-cinq académies, de la Martinique jusqu’au sud de la France ». (...)
Récemment, à Montpellier, l’avocate a défendu une famille dont l’enfant, en grande section, se retrouve depuis décembre plus de la moitié de la semaine dans d’autres classes, faute d’enseignant·e. « Cette fois-ci, le tribunal administratif nous a répondu qu’il n’y avait pas de préjudice ni de caractère d’urgence, puisqu’“il n’est pas allégué que l’enfant ne bénéficierait pas de ce redéploiement”. Mais c’est une décision scandaleuse. C’est pour ça qu’on se bat ! »
Pour le manque d’enseignant·es, qui revêt un caractère d’urgence, les avocats peuvent lancer une action en référé afin d’obtenir une réponse rapide. Lorsque celle-ci est positive, le rectorat finit certes par trouver un ou une remplaçante, mais « en déshabillant Pierre pour habiller Paul », constate Grégoire Ensel, président de la FCPE. Des décisions de justice qui, souvent, ne font donc que poser un pansement sur une hémorragie.
Le droit comme arme contre le « Choc des savoirs » (...)
Cela fait en effet bien longtemps que les réformes éducatives sautent la case Parlement pour atterrir sur des textes, circulaires et arrêtés « maison », ce qui permet, au passage, de s’affranchir d’un possible débat houleux à l’Assemblée. (...)
Mais pour le sociologue Choukri Ben Ayed, qui relève que les mobilisations n’ont jamais vraiment fait bouger le mastodonte institutionnel, il faut se méfier des contradictions à l’œuvre et des arguments brandis, comme celui de la remise en cause de l’autonomie des établissements dans la mise en place des groupes de niveau. « Tout à coup, on fait comme si l’autonomie des établissements était une réforme progressiste et humaniste. Le piège serait de défendre ce statut qui devrait être réformé car il contribue à la ségrégation scolaire. On peut s’opposer à l’autonomie des établissements et aux réformes. »
Du côté de la FCPE, la prudence est de mise. Si la question judiciaire se doit d’être posée, il faut aussi, voire surtout en envisager les possibles conséquences, et décortiquer les rejets des recours actuels. (...)
Le syndicat de parents a proposé de rejoindre l’intersyndicale (Snes-FSU, Unsa, Sud, CGT, Sgen-CFDT) pour une importante manifestation le 25 mai prochain, cette fois-ci plus large, pour la défense de l’école publique. (...)
Surtout, l’idée est de faire se rejoindre les luttes. (...)
Les décisions de justice à venir sont plus qu’importantes pour le système éducatif, mais remettent d’actualité une question encore plus cruciale. « Si j’ai peu d’espoir pour ces recours, c’est très bien qu’ils existent. Ils vont peut-être enfin mettre au grand jour le fait que l’Éducation nationale fonctionne de manière unilatérale. Car la vérité, c’est que l’institution scolaire n’a pas de contre-pouvoir, souligne le sociologue Choukri Ben Ayed, qui rappelle qu’aucune instance n’est réellement indépendante et que la plupart sont simplement « consultatives ».
Or un système sans contre-pouvoir, vous pouvez en être sûr, a tout balisé pour que rien ne change. Ce qui manque à notre école, au fond, c’est de la démocratie. »