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Club de Mediapart/François Malaussena Conseiller politique à l’Assemblée nationale
Par une note de ses propres services, le gouvernement s’est déclaré intouchable
#electionslegislatives #Macron
Article mis en ligne le 31 août 2024
dernière modification le 30 août 2024

Au delà des refus d’Emmanuel Macron, un autre coup de force, bien plus grave, se déroule là où personne ne regarde. L’actuel gouvernement démissionnaire-démissionné gouverne sur le fondement d’une note de ses propres services, qui estime le gouvernement incensurable tout en lui attribuant d’importants pouvoirs de décision. Cela pourrait redéfinir le régime.

Le Secrétariat Général du Gouvernement, le SGG pour les intimes, est l’organe non-politique le plus important du pays. Ce sont les services administratifs de Matignon. Le SGG survit d’un président à l’autre, d’un gouvernement à l’autre, d’une majorité parlementaire à l’autre.

Les services du SGG sont très puissants, de par leur centralité et leur permanence - le précédent Secrétaire Général du Gouvernement, Marc Guillaume, était surnommé "Dieu" et sa parole sert d’évangile constitutionnel aux gouvernements - et à la fois impuissants parce qu’ils exécutent ce que leur demande le Premier ministre.

Suite aux élections législatives de 2024, il a été demandé au SGG une note sur ce que peut et ne peut pas faire un gouvernement démissionnaire-démissionné, "expédiant les affaires courantes". (...)

Ce que dit la note du Secrétariat Général du Gouvernement (...)

Selon la note, un gouvernement démissionné peut prendre les décisions ordinaires et urgentes, mais pas les décisions politiques. Toute la question est donc : que se cache derrière chacune de ces catégories ? Ce que dit la note du SGG, c’est qu’il n’y a, si on regarde leur contenu sur le fond, que deux types de décisions, les décisions ordinaires et les décisions politiques... mais que plus le temps passe, plus les décisions politiques peuvent devenir des décisions urgentes, ce qui justifie qu’elles soient prises par le gouvernement.

Pour le dire autrement, plus un gouvernement démissionné reste longtemps aux "affaires courantes", plus ses pouvoirs s’accroissent, à tel point qu’il finit par avoir le droit de quasiment tout faire - tant qu’il est capable de justifier l’urgence motivant chaque décision. (...)

Le second point tient en une phrase, glissée ni vu ni connu comme une évidence, page 6 : « Le Parlement est privé de la possibilité de renverser le Gouvernement (qui est déjà démissionnaire). »

En clair, un Gouvernement démissionnaire ne pourrait pas être renversé, parce que… “ce n’est plus un Gouvernement”. Cette interprétation est non seulement particulièrement surprenante, mais surtout extrêmement dangereuse. (...)

Les conséquences de ces appréciations : une menace fondamentale sur le régime français

Conjugué au premier point, cette interprétation signifie qu’un gouvernement d’affaires courantes aurait quasiment les mêmes pouvoirs qu’un vrai gouvernement, mais sans pouvoir être renversé. Cela consiste à enlever à l’Assemblée nationale sa fonction première dans notre régime. Ca peut permettre au président, celui là ou un autre, de changer la nature fondamentale du régime politique français, vers ce que le pays a connu de pire. (...)

« Mais c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! la vertu même a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête
le pouvoir » disait Montesquieu. Or cette note du SGG, c’est l’exécutif qui se fixe, seul, ses propres limites…

Le coup de force tranquille

Un exécutif qui se fixe ses propres limites - et estime au passage qu’il n’en a pas vraiment -, cela rappelle ce qu’ont fait aux Etats-Unis Georges W. Bush et son vice-président Dick Cheney après le 11 septembre 2001. Sur le fondement d’une théorie juridique, dite “théorie de l’exécutif unitaire”, qui tordait particulièrement la Constitution américaine, élaborée par des juristes zélés (devenus trumpistes depuis), Bush et Cheney se sont accordé la licence de faire ce qu’ils souhaitaient, ni plus ni moins, dans le cadre de leur "guerre contre la terreur" en Afghanistan. Comme le raconte l’excellent film Vice, cela a a donné Guantanamo, les assassinats, la torture, et des ondes de choc politiques que l’on ressent encore aujourd’hui. (...)

Or il n’est écrit nulle part qu’il est interdit de voter la censure d’un gouvernement démissionné. Si l’Assemblée nationale le veut, elle le peut. (...)

Avec la censure de son gouvernement démissionnaire, il deviendrait encore plus explicitement intenable et inacceptable pour Emmanuel Macron de maintenir Gabriel Attal en poste et de ne pas, enfin, confier à une personnalité la tâche de constituer un gouvernement, comme cela a lieu dans tous les régimes parlementaires normaux