
« La biodiversité est à la base de la production agricole », insiste l’écologue Vincent Bretagnolle. Des recherches menées depuis 30 ans avec des exploitations agricoles des Deux-Sèvres démontrent que la protection de la biodiversité augmente les rendements.
(...) Pour l’exécutif, la protection de l’environnement serait incompatible avec le fait de produire : les normes environnementales sont réduites à des tracasseries administratives empêchant la profession agricole de vivre bien. Les études scientifiques s’accordent pourtant sur le rôle des pesticides - notamment des néonicotinoïdes - dans l’effondrement des populations d’abeilles, ou des conséquences de l’agriculture intensive sur la disparition des oiseaux et de la diversité florale.
Un grand laboratoire à ciel ouvert de 45 000 hectares dans les Deux Sèvres, créé il y a 30 ans par le chercheur Vincent Bretagnolle en collaboration avec les agriculteurs, montre au contraire que la protection de la biodiversité, notamment des insectes pollinisateurs, permet d’augmenter les rendements. Ce terrain d’expérimentation révèle aussi que les agriculteurs parviennent à augmenter leur revenu en diminuant les pesticides et les fertilisants comme l’azote de synthèse. (...)
La production agricole dépend de la biodiversité, ce que les agriculteurs ont souvent oublié. 70% des plantes cultivées dépendent totalement ou partiellement des pollinisateurs. La biodiversité du sol met les éléments nutritifs minéralisés à disposition des plantes. La biodiversité, c’est donc aussi le recyclage de la matière organique, ou le contrôle biologique : dans les plaines agricoles, les oiseaux mangent des insectes en été et des graines d’adventices en hiver. L’alouette des champs consomme un tiers de la production de graines d’adventices d’une année ! La biodiversité est à la base de la production agricole.
L’effondrement de la biodiversité signifie l’effondrement à terme de la production agricole. On voit les premiers signes en conventionnel : les rendements de blé ont arrêté d’augmenter depuis 30 ans, malgré la sélection variétale. Elle signifie aussi l’effondrement du fonctionnement des écosystèmes par exemple l’épuration de l’eau, de l’air... Sans compter les services culturels de la biodiversité à travers la beauté et la richesse des paysages. On ne vivra pas dans un monde sans biodiversité.
(...)
Nos 30 ans d’études et 20 ans de Natura 2000 démontrent que l’on peut réconcilier agriculture et biodiversité, dans les deux sens, comme bénéficiaire réciproque, sans nuire à la profession agricole mais au contraire en améliorant le revenu. Il ressort que s’il y a suffisamment de mesures à l’échelle d’un petit territoire – soit quand même 20 % de parcelles sous contrat, ce qui peut être rapidement énorme à l’échelle d’un grand territoire – on arrive à stabiliser les populations et à enrayer le déclin. Toutefois, pour certaines espèces comme l’outarde, on ne regagne pas en effectif.
(...)
Vous expliquez avoir enrayé temporairement et localement le déclin de la biodiversité, sans observer de changement de situation à grande échelle. Que faut-il faire pour inverser vraiment la tendance ?
Nous l’avons enrayé localement, mais il faudrait mettre 20 % de la métropole en MAE biodiversité, quand on est aujourd’hui à 2 % ! Temporairement aussi car la MAE ne dure que cinq ans. A chaque exercice de la Politique agricole commune, renouvelée tous les cinq à sept ans, les politiques publiques européennes et l’État français changent assez radicalement les MAE [modification du nom, des mesures, des types de condition et de paiement...]. Résultat, on redémarre à zéro tous les cinq ans. Ce changement continuel des MAE en matière de biodiversité empêche les effets à long terme et décourage les agriculteurs. (...)
Outre les pouvoirs publics et les politiques publiques, les citoyen·nes jouent leur rôle aussi dans cette transition. On a donc modifié notre programme de recherche depuis 2018 en essayant de changer la consommation alimentaire des 34 000 habitants du territoire. On essaie de favoriser les circuits courts en vente directe – on est passés de trois marchés de plein vent en 2018 à 14 aujourd’hui – et on travaille avec les cantines scolaires. (...)