
Un article publié en juillet 2022 accusait une école de Valence d’être proche des Frères musulmans. Son dirigeant dénonce des « mensonges » et regrette les conséquences de cette publication. Pour l’hebdomadaire, il ne s’agirait de rien d’autre que d’une « procédure abusive ».
Les accusations étaient graves et avaient été largement reprises dans la presse. Le maire LR de Valence, proche de Laurent Wauquiez, voulait vendre 8 400 m2 de terrain à une école privée musulmane. Pas n’importe quelle école. Un établissement hors contrat, qui accueillerait des filles voilées et dont les dirigeants, à la tête de l’association Valeur et réussite, seraient proches de la confrérie islamiste des Frères musulmans.
Après la publication de l’article, la polémique enfle et le projet tombe à l’eau. La quarantaine de conseillers municipaux, qui avaient pourtant voté la signature du compromis de vente, sont finalement revenus sur leur position. Puis la préfecture a laissé planer des doutes sur cette école, et le maire LR Nicolas Daragon n’a pas voulu prendre le risque d’affronter l’État. Mourad Jabri, le dirigeant de l’école et de l’association, a déposé plusieurs recours pour contester cette décision et a attaqué Charlie Hebdo en diffamation. Le procès a eu lieu ce mardi 5 décembre devant le tribunal correctionnel de Valence. (...)
« Je regrette que personne ne soit là. Cela fait plus d’un an que nous sommes meurtris par cette affaire et traînés dans la boue », commence Mourad Jabri qui, depuis la barre, pointe deux places vides. Celles de Riss, le directeur de publication, et surtout celle de Laure Daussy, l’autrice de l’article, tous deux absents à l’audience. « On a été bouleversés par tous leurs mensonges », insiste-t-il, avant de revenir en détail sur les différentes accusations de Charlie Hebdo.
Comme l’avait déjà raconté Mediapart, l’article en question comportait de nombreuses erreurs. (...)
Devant le tribunal, Mourad Jabri et ses trois conseils égrènent les éléments factuels. Des témoignages, des documents, et les rapports de l’inspection, qui pointent « la conformité totale des enseignements dispensés avec les exigences de l’Éducation nationale ». Aucun rapport n’a en effet jamais mentionné de problème lié à l’aspect confessionnel de l’école ou à son enseignement.
« La consultation des cahiers montre un enseignement réel et structuré », écrivent les inspecteurs en 2019, tout en pointant des insuffisances dans certaines matières, comme le sport ou les arts plastiques. Et les agents de conclure : « Le contrôle atteste que l’instruction dispensée est conforme aux objectifs du décret relatif au contrôle de l’instruction dans la famille ou des établissements d’enseignement privés hors contrat. » (...)
Dans tous ces rapports qui s’étalent de 2015 à 2021, aucune inspection ne relève l’existence de cours religieux, de classes qui seraient non mixtes ou de filles portant le voile. Ce vêtement est même interdit par le règlement intérieur depuis 2016.
Au sujet de l’imam évoqué par Charlie Hebdo, Mourad Jabri conteste fermement le soutenir. Il n’aurait plus de lien avec lui, n’a jamais liké l’un de ses tweets ou posté quoi que ce soit le concernant. « J’étais dans la même association que lui en 2008 et suis parti en 2010 parce que j’étais en désaccord », affirme-t-il. Il explique ensuite que ce projet immobilier avorté s’inscrivait dans une démarche générale associée à une demande de passage en contrat avec l’État, d’ailleurs validée par l’inspection académique. « Nous, notre but, c’est de lutter contre l’obscurantisme et le fanatisme, justement », poursuit-il.
Latifa Ibn Ziaten témoigne à la barre (...)
Latifa Ibn Ziaten, la mère d’une des victimes du terroriste Mohamed Merah, qui dédie désormais sa vie à militer pour « le vivre-ensemble ». Elle est justement intervenue en juin dernier dans l’établissement et raconte notamment avoir eu « de très bons échanges autour de la laïcité ». « Si la moindre chose m’avait choquée, je ne serais pas là pour témoigner », dit-elle. (...)
L’offre de preuves de la journaliste de Charlie Hebdo, très mince, livre peu de réponses. Le témoin de la défense, Bruno Casari, un conseiller municipal ex-LREM de Valence, est le seul à dévoiler quelques éléments sur les dessous de cet article. (...)
Ce « lanceur d’alerte » et ennemi assumé du maire évoque ses motivations face à cette initiative municipale « anti-laïque ». Il n’a jamais visité cette école, n’a jamais rencontré de membres ou de parents d’élèves, mais a « fait des recherches Google trois jours avant ». « Le but, c’était qu’il y ait une caisse de résonance. Est-ce que la préfète m’aurait répondu si ce n’était pas passé par Charlie ? Je n’en suis pas sûr… », explique-t-il, tout en reconnaissant ne pas savoir si l’école était liée ou non aux Frères musulmans.
« Je savais que l’article serait incisif et le chirurgien-dentiste que je suis sait que quelque chose d’incisif fait toujours mal ». Bruno Casari, élu municipal, à l’origine de l’article de « Charlie Hebdo ». (...)
Nabil Boudi, l’un des avocats de l’école, dénonce un article motivé par une unique « cabale politique » et cite les nombreux articles de presse qui ont démenti les informations de Charlie Hebdo depuis. (...)
Au fil des débats qui ont duré plus de sept heures, l’appréciation de l’article de la journaliste d’investigation change. Il s’agirait d’un édito plus que d’une enquête journalistique, d’opinions plus que d’éléments factuels. Lors de ses réquisitions, le procureur de la République n’a d’ailleurs pas souhaité aborder le moindre élément factuel et s’en est remis à l’appréciation du tribunal. (...)
Le délibéré sera rendu le 21 décembre.