Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Nouvelle-Calédonie : un accord « colonialiste » sur le nickel attise les tensions
#NouvelleCaledonie #Kanaky #nickel
Article mis en ligne le 18 mai 2024

Le gouvernement français espère imposer à Nouméa un accord pour bénéficier de ses ressources en nickel et fabriquer davantage de voitures électriques. Une attitude vécue par les indépendantistes comme une « recolonisation » de leur territoire.

(...) Le territoire abrite à lui seul 20 à 30 % des ressources mondiales en nickel, un élément indispensable pour fabriquer des batteries de voitures électriques. Autrement dit, les sous-sols néo-calédoniens attirent les convoitises, et notamment celles de la France.

En novembre 2023, en visite sur l’archipel, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait présenté pour la première fois un « pacte nickel ». Son but : faire sortir de la faillite les trois usines métallurgiques du territoire, spécialisées dans le traitement du nickel. En effet, si la Nouvelle-Calédonie est riche en minerais, le secteur est en crise. Coût exorbitant de l’énergie, chute des cours du métal, baisse des ventes, concurrence avec les mines indonésiennes… La filière est en grande difficulté, alors qu’elle est la principale source de revenus pour le territoire, et qu’elle emploie 20 à 25 % de ses habitants.

Avec son « pacte nickel », Bruno Le Maire proposait de venir en aide aux usines en subventionnant les prix de l’énergie à hauteur de 200 millions d’euros, et de développer la capacité de production électrique sur le territoire. En échange, les collectivités locales devaient s’engager à faciliter l’accès aux ressources, et les usines devaient être exploitées par des industriels pour être « rentables ».

« Un pacte colonial »

Premier problème de cette proposition : c’est une ingérence qui passe mal. (...)

« Le pacte affiche clairement la couleur : la France a besoin du nickel calédonien pour produire des batteries de voitures électriques vendues en métropole, analyse pour Reporterre Christine Demmer, anthropologue au CNRS. On sort complètement du modèle consistant à ce que la rente minière profite à la Nouvelle-Calédonie, pour son propre développement. » Selon la chercheuse, le pacte est donc bien une forme de « recolonisation » du territoire. (...)

Autre difficulté de ce pacte : le ministre de l’Économie demande explicitement à la Nouvelle-Calédonie d’autoriser davantage d’exportations des minerais bruts. Les habitants de l’archipel, eux, estiment que la transformation du nickel doit se faire sur place pour conserver la valeur ajoutée — quand bien même l’extraction des mines est aussi une activité très polluante. Cerise sur le gâteau, même les loyalistes rejettent la contribution de 66,7 millions d’euros demandée par l’État à la Nouvelle-Calédonie, qu’ils jugent trop élevée au vu de la dette du territoire.
Problème de méthode

En venant dans le Pacifique, Bruno Le Maire imaginait que l’accord serait signé dans les jours suivants. (...)

Ce rejet de la population n’étonne pas l’anthropologue Christine Demmer : « La méthode du gouvernement est très inhabituelle. Depuis la signature des accords de Matignon en 1988, c’est généralement la recherche de consensus qui prime, pas une décision unilatérale de l’État, et encore moins prise depuis Paris. »

Or c’est bien le même souci de méthode que dénoncent les indépendantistes depuis le 14 mai, date à laquelle les affrontements ont commencé en Nouvelle-Calédonie. (...)

Depuis le processus de décolonisation lancé en 1988, la tradition calédonienne est de trouver un compromis entre chaque position, des indépendantistes aux loyalistes en passant par l’État. Mais cette tradition a volé en éclats en 2021, lorsque le gouvernement a refusé de repousser la date du troisième référendum sur l’autodétermination du territoire, alors que le peuple kanak demandait du temps pour enterrer ses morts dus à la pandémie de Covid-19.

Depuis, considérant que la victoire du « non » au référendum — quand bien même la majorité de la population n’est pas allée voter — était un feu vert à cette réforme, l’État a poursuivi sur sa lancée. La réforme a été adoptée par le Sénat le 2 avril, puis par les députés dans la nuit du 15 au 16 mai. Il devra être voté une dernière fois par les parlementaires réunis en Congrès en juin, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient avant. (...)

c’est malheureusement « ce type de passage en force sans consensus qui [avait] déclenché la guerre civile des années 80 ».