
C’est une évidence : les inégalités sociales ne cessent de se creuser et les filets de protection sociale s’effilochent pour une part de la population. Celle qui perçoit les minima sociaux. C’est dans ce contexte que le travail social se trouve plus que jamais au cœur des enjeux de notre société. Oui, mais voilà, notre secteur connait une « crise des métiers » comme l’indiquent les professionnel(le)s qui parlent de « perte de sens ». Les institutions sont confrontées à un accroissement des postes vacants.
À y regarder de près, la crise actuelle n’a fait qu’exacerber et rendre visibles des difficultés anciennes. Elles étaient bien présentes par le passé. Nous vivons une époque où le néolibéralisme triomphant ne date pas d’aujourd’hui. C’est pourquoi je vous propose aujourd’hui d’y voir un peu plus clair sur ce sujet en faisant appel à trois sociologues bien connus de notre secteur : Saul Karsz, Michel Chauvière et Jean-Sébastien Alix.
Qu’est-ce que le néo-libéralisme ?
C’est un courant économique et idéologique qui a émergé au milieu du XXe siècle, mais qui a pris son essor à partir des années 1970 et 1980. Il se caractérise par la promotion des libertés économiques, la dérégulation des marchés et le désengagement de l’État dans les affaires économiques. (...)
Ce système prône la privatisation des entreprises publiques, la réduction de la fiscalité, notamment pour les entreprises, et un contrôle strict de la masse monétaire pour éviter l’inflation. Il s’accompagne d’une vision de l’individu comme entrepreneur de lui-même, incité à s’inscrire dans une compétition généralisée où chaque domaine de la vie est perçu comme un marché. (...)
Le néolibéralisme, en tant que système économique et idéologique dominant depuis les années 1970, a profondément transformé divers secteurs de la société, y compris le travail social. Ce dernier, historiquement ancré dans des valeurs de solidarité et d’entraide, se trouve aujourd’hui confronté à des logiques de marché qui remettent en question ses fondements mêmes. Pour comprendre ces transformations, nous nous appuierons sur les analyses des trois sociologues que j’ai eu l’honneur et le plaisir de côtoyer : Saul Karsz, Michel Chauvière et plus récemment
Jean-Sébastien Alix. (...)
Il souligne que le binôme inclusion-exclusion est utilisé sans véritable principe conceptuel solide, ce qui permet au néolibéralisme de masquer ses effets délétères sur la cohésion sociale.
Il met aussi en avant l’importance de repenser l’autorité dans le cadre du travail social. Il défend une vision où l’autorité ne doit pas être vue comme une simple contrainte, mais comme un élément complexe qui peut être légitimé par la justice sociale. Cette approche critique nous montre les tensions qui existent entre les exigences néolibérales d’efficacité et les valeurs du travail social.
Michel Chauvière : La gestion tue le social. (...)
il analyse comment les logiques managériales imposées par le néolibéralisme dénaturent le travail social en le réduisant à des critères d’efficacité et de rentabilité.
Michel Chauvière est un pourfendeur du néolibéralisme. Il faut dire que ses arguments ont fait mouche dans notre secteur. (...)
Pour lui, cette dérive gestionnaire conduit à une dépolitisation du travail social. Les professionnels du travail social en sont réduits à devenir des exécutants soumis à des normes bureaucratiques.
Jean-Sébastien Alix : Résistance et consentement face aux mutations (...)
Dans ses travaux, il s’interroge sur la capacité des professionnels du secteur à maintenir leurs valeurs face aux pressions économiques et politiques.
Il identifie trois types de rationalités (juridico-administrative, technico-gestionnaire et normative ) qui influencent le travail social aujourd’hui. Il met en évidence comment ces rationalités sont souvent en conflit avec les idéaux du secteur. Cela crée un espace où les travailleurs sociaux doivent naviguer entre résistance et adaptation. (...)
D’autres voix critiques : Pierre Bourdieu, Michel Foucault…
D’autres sociologues plus connus et plus célèbres ont aussi analysé l’impact du néolibéralisme mais de façon plus générale. En premier lieu et bien avant, Pierre Bourdieu. Il a critiqué de manière remarquable le néolibéralisme comme une fragmentation des collectifs qui conduit à une « atomisation » des travailleurs et qui détruit lentement les structures de solidarité. (...)
L’ensemble de ces analyses soulignent que le néolibéralisme ne modifie pas seulement les structures économiques, mais transforme également profondément nos relations sociales et la façon même de penser la solidarité. Aujourd’hui, les chantres du néo-libéralisme ne s’embarrassent même plus des analyses et de la compréhension du fonctionnement de la société et des inégalités. Nos élites économiques ont fait sécession et réfutent même le concept de solidarité. Ils ne cachent plus leur volonté de puissance pour diriger le monde. Il est regrettable que nous ne sachions pas résister de façon efficace à cette vision de l’économie qui provoque une exclusion endémique.
Vers un avenir positif malgré les difficultés
Malgré un constat souvent sombre sur l’état actuel du travail social sous l’influence du néolibéralisme, ces auteurs offrent aussi quelques perspectives pour l’avenir. Ils encouragent notamment une forme de réappropriation critique des outils managériaux pour servir les objectifs sociaux plutôt que financiers.
La formation continue des travailleurs sociaux est aussi un levier essentiel pour renforcer leur capacité d’analyse critique. (...)
Enfin, ces sociologues nous invitent à se mobiliser collectivement pour repenser les politiques sociales en accord avec les besoins réels des populations vulnérables. (...)