
Participante à une manifestation du 20 juillet à La Rochelle, l’autrice de cette tribune raconte la violence de l’État qu’elle y a subi, qui l’a laissée effondrée, et plaide pour sa débanalisation.
« Ma chérie, je suis désolé, mais en allant à une manifestation interdite [ou non déclarée], c’est normal que vous soyez réprimés. » Voilà ce qu’ont déclaré les pères de deux de mes amies ayant récemment subi la répression policière sur une manifestation pacifique — l’une a eu le crâne ouvert par une bombe lacrymogène, l’autre a passé vingt-quatre heures en garde à vue.
Non. Deux fois non. D’abord, rappelons que contrairement aux affirmations de Gérald Darmanin en 2023, le fait d’assister à une manifestation non déclarée ne constitue pas un délit et que la désobéissance civile pacifique est protégée par les droits humains à l’échelle internationale, comme le soulignait en février 2024 Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, au titre de la Convention d’Aarhus. La répression actuelle des militants n’a pas pour objet de répondre à de potentielles infractions. Elle est une stratégie politique pernicieuse, dangereuse pour la démocratie. (...)
nous avions à peine marché une heure qu’une muraille de casques noirs s’est avancée pour coller le cortège et refermer la rue derrière nous. Un premier jet de bombes lacrymo s’est vite étiré sur nos tympans. J’ai tiré mon amie Alex derrière une voiture et une médic est venue nous nettoyer les yeux avec un spray de Maalox. Le cortège a continué d’avancer, et la rangée de CRS aussi. On s’est relevées, les mains en l’air pour démontrer que l’on ne menaçait personne. Mais notre innocence ne nous a pas protégées. Une deuxième série de tirs s’est fait entendre. On s’est engouffrées dans une petite rue perpendiculaire dans l’espoir de se mettre hors d’atteinte.
« Nous étions prises au piège » (...)
C’est à ce moment-là qu’est arrivé un groupe de Black Bloc venu faire tampon entre nous et la police. Les policiers ont recommencé à bombarder avec des lacrymos.
On s’est accroupies derrière des poubelles, les pétarades crachaient en continu. J’éprouvais la même sensation que celle qui m’avait traversée il y a un an déjà à Sainte-Soline [dans les Deux-Sèvres contre les mégabassines] : celle d’être sur un champ de bataille. Le niveau de stress qui étreignait mon corps dépassait largement ce que mon cerveau pouvait supporter. (...)
Alex m’a alertée qu’elle avait reçu quelque chose sur la tête : elle pissait le sang. Notre appel aux médics s’est propagé comme une vague et, en quelques secondes, ils étaient là. Des larmes devaient couler sur mon foulard car le médecin m’a demandé si ça allait. « Je veux rentrer », ai-je dit. Dans la direction que pointait son index ganté se dégageait enfin une issue, il n’y avait plus qu’un mur à escalader. Laissant Alex entre de bonnes mains, j’ai filé. Je me suis engouffrée jusqu’au fond d’un magasin et me suis effondrée, sous l’effet d’une « dissociation cognitive », comme me l’expliquera plus tard une psychologue. Une partie de moi n’avait plus accès au réel. (...)
En Allemagne comme au Royaume-Uni, les autorités ont fait de l’apaisement leur priorité : les affrontements sont déclenchés en dernier recours, LBD, grenades de désencerclement et bombes lacrymogènes sont des armes interdites, et seuls les individus ayant commis des dégradations ou des violences sont ciblés. Sur les questions policières, la France est la mauvaise élève de l’Europe ; elle inquiète gravement les défenseurs des droits. Et la récente nomination de M. Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur ne présage pas un changement positif en la matière.
« Des méthodes d’un autoritarisme disproportionné » (...)
Il s’agit en réalité d’une stratégie intentionnelle pour désarmer notre ferveur, et protéger le paradigme dominant des systèmes agroalimentaires capitalistes que notre mouvement menace de fissurer.
La réaction de certains parents mise en exergue dans ce texte montre la banalisation grandissante de l’exercice d’une violence illégitime par l’État, une banalisation favorisée notamment par la couverture médiatique de ce type d’événement. (...)
Or, ces méthodes n’ont rien de « normal » : elles sont d’un autoritarisme disproportionné, parfois humiliantes et illégales. Sur le plan politique, elles maintiennent la société civile nassée dans une impasse en restreignant de plus en plus l’espace démocratique au sein duquel exprimer nos désaccords.
Aujourd’hui, nous nous approprions le terme d’« écoterroristes » comme un sobriquet pour rire et garder la tête haute ; mais le jeu de la terreur est de leur côté.