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Mona Chollet : « Sous le capitalisme, être l’écolo parfaite n’est pas vraiment possible »
#MonaChollet #culpabilisation #Capitalisme #ecologie
Article mis en ligne le 21 novembre 2024
dernière modification le 18 novembre 2024

À cause d’un conditionnement profond, issu du christianisme, nous sommes terriblement enclins à la culpabilisation, écrit l’essayiste féministe Mona Chollet dans son nouveau livre.

La journaliste et essayiste Mona Chollet vient de publier un ouvrage intitulé Résister à la culpabilisation (éd. La Découverte). Elle y décrypte avec habileté les mécanismes de ce puissant « ennemi intérieur » qu’est la culpabilité, notamment pour les femmes et les minorités raciales et sexuelles. Elle remonte aux origines historiques du phénomène (le christianisme) et décrypte ses manifestations dans l’éducation de nos enfants comme dans nos pratiques militantes. (...)

Mona Chollet — Je m’étais beaucoup confrontée à ce sujet en travaillant sur des thèmes féministes, notamment sur la beauté [elle est l’autrice de Beauté fatale (2012)]]. Par exemple, les femmes qui se laissent vieillir naturellement reçoivent des commentaires horribles. Celles qui font des injections ou des liftings également. Il n’y a jamais de bonne solution : on est coupable quoi qu’on fasse. Il y a aussi une histoire plus ancienne due à mon éducation protestante. J’ai grandi à Genève, une ville très marquée par le calvinisme. Il y a un côté très austère et sévère. Calvin avait interdit la musique, la danse, le théâtre, ça a laissé des traces.

Quelles sont les origines historiques de la culpabilité ?

Je me suis fondée sur le travail de l’historien Jean Delumeau et de son livre Le Péché et la peur — La culpabilisation en Occident (éd. Fayard, 1983). Il y explique que la culture chrétienne insiste sur la faute individuelle. La peur de l’enfer est très importante, avec des descriptions terrifiantes à des époques où les gens étaient persuadés que c’était un lieu réel et qu’ils pouvaient y atterrir pour l’éternité. Il y avait aussi la confession obligatoire. Tout cela forge une culture anxieuse, avec une vision très noire de l’être humain. C’est l’idée qu’on est mauvais par par essence. Cette toile de fond culturelle me paraît vraiment importante. Elle a laissé des traces y compris quand on est athée. (...)

Vous expliquez également le rôle crucial joué par le théologien saint Augustin (354-430). (...)

Vous avez rédigé un chapitre sur l’éducation où vous parlez de la violence envers les enfants. Comment l’expliquer ?

La norme du châtiment corporel est omniprésente dans toutes les sociétés humaines, à part quelques exceptions. Dans le christianisme, il y a cette idée qu’il faut les corriger car ils seraient diaboliques. Avec une éducation très rude, y compris physiquement, on va en faire des êtres bons et vertueux.

J’ai aussi lu quelques livres de spécialistes contemporains de l’éducation. J’ai été vraiment sidérée de découvrir à quel point il y a toujours cette vision diabolique de l’enfant. L’idée que si on le laisse trop libre, il va prendre le pouvoir. Il y a un sentiment de hiérarchie très fort (...)

Les courants de gauche qui assument de dire que le travail n’est pas épanouissant et qu’il faut en sortir sont ultraminoritaires. Historiquement, il a toujours fallu affirmer que le travail est une source de fierté, de construction de soi. Or, sous un régime capitaliste, c’est discutable. (...)

Vous parlez de culpabilité militante, qui est très présente, notamment dans les mouvements écologistes. Comment s’en détacher ?

En ayant étudié le discours religieux chrétien, j’ai l’impression de voir beaucoup de points communs. Ce modèle du fidèle obsédé par sa morale personnelle, son idée d’être sans tâche, parfait, digne du paradis. J’ai l’impression qu’on a transposé ça aujourd’hui. Il faudrait être l’écolo parfaite.

On oublie que dans un milieu capitaliste, avec une culture de la consommation qui nous environne depuis qu’on est enfant, ce n’est pas vraiment possible. On subit les choix des industriels. Notre marge de manœuvre au bout de la chaîne de production est toute petite. L’énergie qu’on met à engueuler quelqu’un qui a acheté une bouteille en plastique, il vaudrait mieux la mettre dans la contestation des entreprises qui fabriquent le plastique. (...)

Résister à la culpabilisation, de Mona Chollet, aux éditions La Découverte, septembre 2024, 272 p., 20 euros