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Mediapart
Mobilisation des agriculteurs : en Europe, les extrêmes droites en embuscade
#biodiversité #agriculture
Article mis en ligne le 24 janvier 2024
dernière modification le 23 janvier 2024

Des Pays-Bas à l’Allemagne en passant par l’Espagne, les formations d’extrême droite espèrent tirer profit du malaise des agriculteurs à l’approche des élections européennes.

Les blocages d’autoroutes menés par des agriculteurs en colère dans le Sud-Ouest de la France n’interviennent pas seulement un mois avant l’ouverture du Salon de l’agriculture. Ils s’inscrivent dans un contexte plus vaste, celui d’un malaise agricole palpable à travers tout le continent.

La hausse des prix de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine, les importations de produits agricoles ukrainiens dans le marché européen, mais aussi l’adoption par le Parlement européen d’une batterie de textes du « pacte vert » jugés trop contraignants pour le secteur agricole, nourrissent tous azimuts cette contestation. Ces actions, de l’Espagne à la Roumanie, pourraient bien s’intensifier à l’approche des élections européennes, du 6 au 9 juin prochains. Au risque de doper les droites les plus extrêmes ?

À y regarder de près, si les manifestations d’agriculteurs se multiplient sur le continent, les revendications ne sont pas identiques.

Aux Pays-Bas, les premières protestations massives remontent à octobre 2019. Mais la colère s’était cristallisée à l’été 2022 contre le « plan azote » du gouvernement de Mark Rutte, un projet de réduction de moitié des émissions d’azote d’ici à 2030 (...)

l’exécutif avait fixé l’objectif d’une baisse de 30 % du nombre d’animaux d’élevage : l’exemple type d’une écologie « punitive » aux yeux de ses adversaires, en particulier des tenants de l’agriculture intensive. Face à la contestation, qui visait tout à la fois les textes adoptés à Bruxelles et à La Haye, Rutte et ses alliés avaient fini par faire marche arrière.

Dans la foulée, les agriculteurs et agricultrices voisin·es de la Flandre belge ont défilé pour des motifs à peu près similaires, à partir de mars 2023 (...)

En Allemagne, ce sont les mesures d’austérité présentées par la coalition d’Olaf Scholz, mi-décembre 2023, qui ont déclenché l’ire du secteur : la suppression d’une ristourne fiscale sur le Diesel agricole et la fin de l’exemption d’impôts sur les véhicules agricoles. Dès les premières manifestations, le gouvernement a fait marche arrière sur l’essentiel, en rétablissant notamment l’exemption fiscale. Mais les fédérations agricoles continuent de réclamer la suppression de l’intégralité des mesures.

En Espagne, des exploitant·es agricoles ont manifesté de manière très bruyante à deux reprises l’an dernier. En juillet à Madrid, ils ont réclamé des aides dans un contexte de canicule exceptionnelle, de manque d’eau et de repli de la production agricole nationale. En septembre à Cordoue, en marge d’une réunion des ministres de l’agriculture de l’UE prévue dans cette ville d’Andalousie, les slogans visaient davantage les institutions européennes : les manifestant·es exigeaient d’accroître les aides de la Politique agricole commune (PAC) pour faire face à la hausse des coûts de production provoquée, selon eux, par des textes de protection de l’environnement adoptés ces derniers mois (notamment la directive sur la restauration de la nature, ou encore certains critères de la nouvelle PAC).

En Roumanie, les agriculteurs sont mobilisés depuis le 10 janvier et expriment leurs inquiétudes face à la concurrence des produits agricoles importés à bas prix d’Ukraine. (...)

Succès et déconvenues électorales

Pour Catherine de Vries, politiste néerlandaise en poste à l’université Bocconi de Milan, « il faut être très prudent avec les effets redistributifs du pacte vert européen, et c’est déjà ce qu’Emmanuel Macron et son entourage n’avaient pas compris au moment des “gilets jaunes” » en 2018. (...)

Ces mouvements vont-ils profiter massivement aux partis d’extrême droite au prochain scrutin européen ? C’est le scénario redouté par la droite traditionnelle, qui en réaction a durci son discours sur l’écologie. À l’image du Bavarois Manfred Weber, patron du Parti populaire européen (PPE, dont les Français de LR), qui tempête depuis des mois contre les injustices du pacte vert européen au Parlement de Strasbourg.

Mais le risque d’une poussée de l’extrême droite alimentée par le vote agricole varie, là encore, d’un pays à l’autre, tant les configurations sont différentes. (...)

Lire aussi :

Le RN attise le feu de la colère paysanne

En déplacement dans une exploitation du Médoc, Jordan Bardella a tenté de se présenter en porte-voix des colères agricoles, ciblant l’Union européenne, « l’écologie punitive » et les traités de libre-échange. (...)

L’opération de communication a été savamment calibrée. Deux heures sur place, pas une minute de plus, le temps de quelques déclarations bien formatées pour les chaînes d’information en continu et d’une rapide visite de l’exploitation d’un éleveur bovin. Le lieu a été choisi par Grégoire de Fournas, député RN du Médoc et lui-même viticulteur : il est devenu proche de l’agriculteur depuis leur rencontre lors d’une manifestation de « gilets jaunes ».

Devant les bovins, le président du RN donne le change, sourit face aux caméras et rappelle opportunément le succès qu’il rencontre auprès des agriculteurs, convoquant les précédents de sa visite au salon de l’agriculture ou sa tournée des foires agricoles à l’automne. « À côté, c’est des blondes d’Aquitaine ? Je commence à m’y connaître en vaches », tente la tête de liste du RN avant une pique préparée – et répétée plusieurs fois – à l’encontre de Gabriel Attal, en déplacement dans le Rhône au même moment, « qui pourrait être porte-parole du RN ». (...)

objectif : dépeindre son parti comme le seul protecteur des agriculteurs, face à une Union européenne responsable de tous les maux.

Le mouvement de Marine Le Pen espère, comme ses alliés allemands de l’AfD, s’imposer en porte-parole d’une colère paysanne qui se diffuse dans plusieurs pays européens. Des mouvements nationaux qui partent de revendications diverses, mais qui partagent une hostilité vis-à-vis des institutions communautaires. (...)

« Il a bien intégré les codes de la communication, il a bien vendu sa prestation pour séduire un électorat. Mais il faut être lucide, c’est une prestation de campagne », avertit le président de la FNSEA locale, qui s’inquiète de l’efficacité de ces discours sur des agriculteurs chez lesquels le sentiment d’abandon est très fort : « Tous les discours populistes arrivent à séduire une partie de l’électorat. Face à des non-réponses ou des non-dits depuis des années, il y a un vote qui bascule vers les extrêmes. Je pense qu’il y a des jours compliqués à venir pour la République française. »

Au-delà de l’électorat paysan qui ne représente plus que 1,5 % des actifs français, c’est en porte-parole du monde rural dans son ensemble que le RN souhaite se placer. (...)