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misogynislamophobie
par Ndella Paye 8 mars 2016
Article mis en ligne le 9 mars 2016

Femme, Noire, musulmane visible : quand le 8 mars devient synonyme de détresse.

Il y a quelques jours, une camarade de classe (en cours d’anglais, à Londres) répondait à la question : « si vous aviez une baguette magique, qu’est ce que vous aimeriez être ? » Réponse : « Un homme ». Car, nous a-t-elle dit, les hommes ont une vie beaucoup plus facile...

Je me suis beaucoup questionnée : pourquoi n’est-elle pas fière d’être femme ? J’ai fini par comprendre qu’il n’était pas question de fierté mais juste d’une envie d’avoir une vie plus apaisée, d’avoir un peu de répit dans un monde sans repos pour les femmes que nous sommes. Cela fait des années que je lutte pour l’égalité femme / homme, à tous les niveaux de ce qui me caractérise. D’abord en tant que femme dans un monde patriarcal, dominé par les hommes. J’ai toujours été fière d’être née femme, je n’ai jamais voulu devenir un homme, pour rien au monde, pas même pour un peu de repos, mais j’ai compris qu’une femme pouvait être tellement fatiguée de sa vie et de sa condition de femme qu’elle en arrivait à rêver de devenir un homme.

Je me définissais en 2003 comme féministe tout court, sans adjectif : nous sommes dominées par tous les hommes sans distinction, quelles que soient les croyances ou couleur de peau. Mais très rapidement, je me suis rendu compte qu’être féministe tout court pouvait facilement revenir à se fondre dans « l’universalisme » du féminisme Blanc. Au mieux, on portait une caution à leurs aberrations en niant nos spécificités, au pire on s’aliénait. Depuis 2004 il suffit de toute façon d’être visiblement musulmane pour se faire exclure d’office du féminisme tout court. Pour ces féministes tout court, ou « féministes universelles », être visiblement musulmane signifie qu’on est soumise à un homme au moins, et quand une femme portant le foulard est soumise à un homme, elle n’a plus le droit de rejoindre la lutte de libération ! Il faut retourner à sa soumission et s’en dépatouiller toute seule comme une grande : pas de solidarité avec celles qu’elles ont définies comme soumises, seulement du mépris, de la condescendance, du rejet.

J‘ai donc dû rajouter un adjectif à mon féminisme en me définissant désormais comme féministe islamique. Car je me suis rendue compte qu’à l’intérieur de l’islam, les hommes musulmans dominaient les femmes en justifiant leur domination par le Coran. Il a donc fallu adapter la stratégie (...)

J’ai compris très vite que celui qui veut dominer trouve toujours un texte quelque part, dans la religion ou ailleurs (dans les sciences naturelles, dans les textes de loi), pour justifier son besoin d’être au-dessus, d’être vénéré, car il arrive juste après Dieu – voire à Son niveau ! (...)

Articuler n’est déjà pas simple quand il n’y a que deux choses à emboîter, alors comment y arriver quand il y a une multitude de connexions à faire ? Je dois combattre le sexisme des hommes blancs et l’islamophobie des hommes et des femmes blanc-he-s. Je dois également lutter contre le sexisme des hommes musulmans, mais aussi contre la négrophobie des hommes et des femmes arabo-musulman-e-s – et des Blancs ! Je dois en même temps lutter contre la hiérarchie des couleurs – le colorisme – à l’intérieur de ma communauté noire car je suis foncée, et contre la misogynoire, qui est la misogynie que nous subissons en tant que femmes noires de la part des hommes blancs mais aussi des hommes noirs. Bref, nos vies de femmes engagées sont politiques et ne sont pas de tout repos. Nous ne sommes épargnées nulle part, et vous remarquerez que je ne me suis même pas attelée à la violence de classe, à la pauvreté matérielle, qui peut rendre nos vies tellement infernales.

Le meilleur pour la fin. Les musulmans étant les bouc-émissaires du moment, et les femmes musulmanes en particulier, on peut donc ajouter, à la misogynoire et aux autres agressions, ce que j’appellerai la misogynislamophobie. (...)

je n’arrive plus à trouver un endroit adéquat où mener toutes ces luttes qui pour moi sont aussi importantes les unes que les autres. Il me reste la plume pour exprimer ce que je ressens, ma détresse. Ça aura le mérite de me permettre de vider mon sac mais également de laisser des traces, et qui sait, d’interpeller et en même temps réconforter toutes celles qui se reconnaîtront dans ces mots.

Ne vous méprenez pas : ceci n’est pas un abandon de la lutte, ni même une plainte – même si j’en aurais parfaitement le droit ! Christine Delphy le disait un jour : « je n’ai jamais cru que le féminisme allait changer ma vie, il m’a permis de lui donner un sens » [2]. Ces mots de Christine m’ont aidé à dépasser la prétention et espérance un peu démesurée que ma vie, ou même celle de mes filles, soit révolutionnée par les combats que je mène, et à comprendre que ces combats ont tout de même le mérite de donner du sens à ma vie. Ce qui, au vu du violent système que je dois affronter, n’est déjà pas si mal.

Je ne saurais conclure sans apporter tout mon soutien à mes copines et sœurs de lutte Rokhaya Diallo, Sylvie Tissot (pour Les Mots Sont Importants) et Sarah Benichou (pour le Collectif 8 mars pour toutes), attaquées judiciairement par l’actuelle maire du 20e arrondissement de Paris, qui a voulu les « défoncer » le 8 mars dernier en déprogrammant des débats organisés autour du film Je ne suis pas féministe mais… des sœurs Tissot, débats auxquels moi aussi je devais participer ! Madame Calandra (c’est le nom de cette élue) fait partie de ceux qui ont affiché « Je suis Charlie » devant le fronton de leur mairie, en invoquant torse bombé la « liberté d’expression » face aux « extrémistes », mais elle n’a ressenti aucune gêne à censurer un débat féministe autour du 8 mars... (...)