La situation en République Démocratique du Congo (RDC), deuxième pays le plus vaste d’Afrique, ne cesse de se dégrader. Dans les provinces du Nord-Est, la population vit dans la terreur, prise en étau entre une centaine de groupes armés soutenus par des puissances étrangères. Parmi eux, le M23 (Mouvement du 23 mars), appuyé par le Rwanda, cherche à contrôler les ressources naturelles du pays, notamment les minerais stratégiques, souvent qualifiés de minerais de sang en raison des ravages humains et environnementaux qu’entraîne leur extraction. Ces minerais, essentiels à l’industrie numérique et aux technologies dites vertes, attisent toutes les convoitises.
Depuis plus de 30 ans, la RDC paie un tribut humain insoutenable, c’est un vrai désastre humanitaire :
- 6 à 7 millions de morts directement dues aux combats ou aux violences armées, mais aussi causés par le manque d’accès aux soins, famine, maladies, déplacements
- 6,9 millions de déplacés internes (selon l’OIM),
- Des millions d’enfants, de femmes et d’hommes confrontés à une violence quotidienne : enrôlements forcés d’enfants soldats, les violences sexuelles massives, la torture, l’exploitation minière illégale, les emprisonnements arbitraires et la destruction des infrastructures de base (écoles fermées, hôpitaux attaqués) rythment le quotidien de nombreuses communes et villes de l’Est du pays.
Un conflit passé sous silence
Malgré l’ampleur du drame, le conflit congolais demeure quasiment absent de la scène médiatique internationale. Ce silence, dans lequel la France joue également un rôle, contribue à l’invisibilisation du peuple congolais et à l’impunité des acteurs impliqués. Dans ce contexte, nous avons rencontré Cyriane Nsimba, fondatrice du collectif Congo Bolingo, pour comprendre les ressorts de ce silence et explorer les moyens de soutenir et faire entendre la voix du Congo.
Aux origines du conflit
Pour comprendre la complexité du conflit actuel, il faut revenir à 1994, au moment du génocide des Tutsis au Rwanda. À la chute du régime hutu, des milliers de miliciens fuient vers l’est du Congo, où ils se réorganisent en groupes armés.
Deux ans plus tard, en 1996, la première guerre du Congo éclate (...)
De 1998 à 2003, une seconde guerre éclate, suite aux désaccords au sein de l’AFDL impliquant plusieurs États africains et milices locales, transformant le pays en véritable champ de bataille régional. On parle de grande guerre Africaine.
En 2021, le M23 reprend les armes, relançant une nouvelle insurrection après celle étouffée en 2013 par le gouvernement congolais.
Ainsi, bien que les origines du conflit remontent aux années 1990 et s’enracinent dans les dynamiques issues de l’ordre colonial, la guerre du Congo se poursuit aujourd’hui sous d’autres formes toujours alimentées par les enjeux géopolitiques et économiques autour des ressources naturelles.
Présentation de Congo Bolingo
L’objectif principal de notre association est d’informer et sensibiliser l’opinion publique, de visibiliser les luttes de nos ami·es congolais·es en partageant leurs témoignages, leurs actions notamment lors de nos événements.
Les fonds récoltés sont reversés à des associations sur place, la plupart fondées par des jeunes de notre âge (70% de la population à moins de 24 ans) pour leur permettre de faire davantage d’actions de terrain. (...)
L’objectif est de mettre en lumière le rôle central des Congolais·es dans leur propre lutte, tout en soulignant que notre place, en tant qu’allié·es, est d’agir en soutien et non en substitution.
En quoi l’usage du viol comme arme de guerre s’inscrit-il dans la logique de domination et de contrôle mise en œuvre par les milices armées ?
Une moyenne de 60 viols par jour si on prend uniquement les survivantes ayant bénéficié de soins médicaux. Les chiffres réels sont largement supérieurs. On parle de plus de 30 ans de viols, il y a des générations qui n’ont connu que ça.
Le viol n’est pas utilisé par hasard, ce sont des viols extrêmement violents (des objets tranchants comme des machettes sont utilisés dans les parties génitales des victimes), ils ont pour objectif de détruire la société civile. Ils mènent à la destruction de la cellule familiale dans les villages, dont les femmes, les petites filles, même les bébés – le docteur Mukwege raconte avoir réparé une petite fille de six mois – sont souvent rejetés par leurs proches et doivent partir en exil dans des conditions atroces. (...)
Les acteurs du drame congolais : une responsabilité partagée
La crise en République Démocratique du Congo ne peut être comprise sans évoquer les multiples acteurs politiques, économiques et médiatiques qui participent, directement ou indirectement, à son maintien.
Au cœur du conflit, la RDC elle-même, un pays d’une richesse naturelle inestimable, souvent qualifiée de “scandale géologique”. Ses sols regorgent de minerais stratégiques indispensables à l’économie mondiale : le coltan, dont elle détient près de 70% des réserves mondiales, essentiel à la fabrication des appareils électroniques, et le cobalt, dont elle assure près de 75% de la production mondiale, utilisé pour les batteries et les technologies dites vertes.
Autour d’elle gravitent les puissances occidentales (États-Unis, France, Belgique, etc.) et la Chine, devenue un acteur central du marché sino-africain. Toutes partagent un même objectif : s’approprier l’accès à ces ressources. Les multinationales notamment du secteur technologique en dépendent pour maintenir la croissance d’un système capitaliste mondialisé fondé sur la consommation massive de ces matières premières.
Mais derrière les innovations et la “transition verte” se cache une chaîne d’exploitation : ces minerais sont extraits illégalement, souvent par des enfants et des mineurs maltraités, dans des conditions inhumaines. Ils sont ensuite acheminés clandestinement via le Rwanda, intégrant les chaînes d’approvisionnement mondiales, avant d’être blanchis par des sociétés disposant de fonderies et de raffineries. Les grandes entreprises technologiques, elles, profitent du résultat final, tout en fermant les yeux sur l’origine de leurs composants.
Le silence complice des États et des médias (...)
La responsabilité des États est immense. Le gouvernement congolais n’agit pas à la hauteur de la tragédie. Les dirigeants qui ont tenté de rompre avec ce système de dépendance ont été réduits au silence ou assassinés, à l’image de Patrice Lumumba, dont le corps fut dissous dans l’acide après avoir été torturé à mort.
Cette situation découle aussi d’un héritage colonial profondément ancré. (...)
La France, pour sa part, porte également une responsabilité historique : elle a participé à la conférence de Berlin (1884-1885), où l’Afrique a été découpée comme un gâteau entre puissances coloniales, et continue de soutenir des régimes alliés, notamment le Rwanda, acteur clé du pillage des ressources congolaises.
La pratique coloniale du “diviser pour mieux régner” a durablement fracturé le tissu social congolais, exacerbant les tensions. Ce schéma de domination, initié à l’époque coloniale, se perpétue aujourd’hui sous des formes économiques et géopolitiques modernisées.
Ressources d’informations et comptes à suivre (...)