
(...) Menachem Klein, professeur de sciences politiques, ancien membre du conseil d’administration de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’tselem et ancien négociateur avec les Palestiniens, est une voix discordante dans l’unanimité israélienne depuis le 7 octobre. Il réagit aux requêtes du procureur de la CPI et analyse l’état de sa société.
Mediapart : Quel effet a eu l’annonce de la requête de Karim Khan ?
Menachem Klein : La société israélienne n’a pas compris et ne pouvait pas comprendre. Il y a eu deux réactions. La première, qui est presque une réaction pavlovienne, automatique, a été d’affirmer : « Ils sont antisémites, ils nous détestent », et ainsi de suite. L’autre réaction, combinée à l’argument de l’antisémitisme, est la suivante : « Nous n’avons rien fait de mal ! Nous nous sommes simplement défendus. C’est nous qui avons été attaqués. C’est une honte qu’ils nous mettent sur la même page que les terroristes du Hamas. » Il y a une incapacité à comprendre le point de vue de l’extérieur, le point de vue de l’ensemble du monde occidental. La société israélienne ne comprend pas comment Israël est perçu à l’extérieur. C’est notamment dû à la machine de propagande et de désinformation : les médias israéliens n’ont informé le public israélien que de manière très limitée sur ce qu’Israël fait réellement dans la bande de Gaza.Menachem Klein, professeur de sciences politiques, ancien membre du conseil d’administration de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’tselem et ancien négociateur avec les Palestiniens, est une voix discordante dans l’unanimité israélienne depuis le 7 octobre. Il réagit aux requêtes du procureur de la CPI et analyse l’état de sa société.
Mediapart : Quel effet a eu l’annonce de la requête de Karim Khan ?
Menachem Klein : La société israélienne n’a pas compris et ne pouvait pas comprendre. Il y a eu deux réactions. La première, qui est presque une réaction pavlovienne, automatique, a été d’affirmer : « Ils sont antisémites, ils nous détestent », et ainsi de suite. L’autre réaction, combinée à l’argument de l’antisémitisme, est la suivante : « Nous n’avons rien fait de mal ! Nous nous sommes simplement défendus. C’est nous qui avons été attaqués. C’est une honte qu’ils nous mettent sur la même page que les terroristes du Hamas. » Il y a une incapacité à comprendre le point de vue de l’extérieur, le point de vue de l’ensemble du monde occidental. La société israélienne ne comprend pas comment Israël est perçu à l’extérieur. C’est notamment dû à la machine de propagande et de désinformation : les médias israéliens n’ont informé le public israélien que de manière très limitée sur ce qu’Israël fait réellement dans la bande de Gaza. (...)
À l’exception d’un petit groupe de personnes à l’esprit critique, qui suit les médias internationaux, les Israéliens sont totalement aveugles à ce qui se passe à Gaza. Ils ne sont pas intéressés. Ils sont enfermés dans leur propre traumatisme. Ils n’ont pas l’esprit critique. La propagande de l’armée et celle du gouvernement font de leur mieux pour maintenir les Israéliens enfermés dans le 7 octobre. La guerre est toujours perçue comme une revanche. Le 7 octobre justifie tout. Il n’y a pas de discussion publique sérieuse sur la guerre. (...)
La décision de Karim Khan n’est pas une gifle administrée seulement à Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant. C’est une honte pour Israël. Je le dis en tant qu’être humain, en tant que juif et en tant qu’Israélien, c’est une honte que nous en soyons arrivés là. Et c’est une honte que les dirigeants israéliens ne puissent pas le comprendre, ne le reconnaissent pas et le rejettent en bloc. L’échec à empêcher les crimes de guerre est celui de toute la machinerie. Il semble que l’ensemble du cabinet opérationnel, les ministres du cabinet ou les différents services soient blâmés pour la mise en œuvre des crimes de guerre par l’armée israélienne.
Le système juridique israélien est en première ligne. Il ne fait rien pour empêcher l’armée israélienne de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les autorités juridiques, le procureur général du ministère de la justice et le procureur général de l’armée israélienne n’ont pas fait ce qu’il fallait pour être en conformité avec le droit international. Les juristes israéliens se sont eux aussi laissé prendre par l’atmosphère de vengeance qui guidait les opérations de l’armée israélienne. Les responsables israéliens ont dit que nous voulions détruire Gaza, que tous les Palestiniens étaient des criminels et des terroristes, que tous les Palestiniens de Gaza étaient une cible légitime, et les juristes n’ont rien fait pour les arrêter. C’est ce qu’implique la décision de Karim Khan.
Cela aura-t-il alors des conséquences sur le terrain ?
Assurément, il y aura un impact sur la conduite des opérations militaires. Karim Khan a dit que son équipe continuait à travailler et à recueillir des preuves de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le contexte des opérations israéliennes de bombardement. Je suppose que cela pourrait conduire à une demande d’arrestation du chef d’état-major et du commandant des forces aériennes israéliennes. Dans cette perspective, l’armée ne peut pas poursuivre l’opération militaire à Rafah, car non seulement La Haye pourrait réagir ou demander l’arrestation du chef d’état-major, mais parce que Biden s’y oppose.
Ensuite, Israël va devoir réexaminer la proposition de cessez-le-feu une fois de plus. Il semble que la guerre soit sur le point de se terminer. Enfin, l’armée israélienne s’était préparée à faire au Liban ce qu’elle fait à Gaza, à savoir détruire de grandes parties de Beyrouth, où se trouve le quartier général du Hezbollah, mais elle va devoir revenir sur ces plans. (...)
Attention, la guerre ne cessera que sur pression extérieure, ou si les réservistes cessent de rejoindre l’armée. À l’heure actuelle, les manifestations réclamant la fin de la guerre sont pratiquement inexistantes. (...)
Aujourd’hui, personne ne propose une véritable alternative à la politique de Nétanyahou. (...)
Depuis le début, depuis 1948, Israël est une société militaire. Quelques processus démocratiques adoucissaient ce militarisme. Seulement, au XXIe siècle, les institutions démocratiques se sont affaiblies. Elles sont aujourd’hui gravement malades et faibles. Ce qui domine et définit Israël aujourd’hui, c’est la suprématie juive. Israël n’est plus celui de Yitzhak Rabin [ancien premier ministre assassiné en 1995 – ndlr]. Il a changé de façon spectaculaire. C’est une société et un régime ethnocentrés. (...)
Le nouveau chef du Commandement central est un colon. Il est maintenant le commandant de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.