
Les restrictions imposées par les autorités italiennes en mer ont eu d’importantes conséquences sur les activités des navires humanitaires. Selon un rapport de SOS Méditerranée, les bateaux d’ONG ont perdu 735 jours à rejoindre des ports éloignés des lieux de sauvetage, et parcouru au total plus de 275 000 km.
Deux ans après les premières mesures prises en Italie à l’encontre des ONG de sauvetage en mer, SOS Méditerranée dresse "le bilan tragique et les coûts humains des politiques du gouvernement" de Giorgia Meloni, dans un rapport sorti mercredi 12 février (...)
Le décret Piantedosi – du nom de ministre de l’Intérieur – validé le 28 décembre 2022 devient loi trois mois plus tard : le texte oblige les ONG à se rendre "sans délai" au port de débarquement assigné par les autorités italiennes juste après un premier sauvetage. Si les navires humanitaires effectuent un autre sauvetage, ils doivent le faire avec l’accord de Rome. Sinon, ils s’exposent à des sanctions financières et à l’immobilisation du bateau.
"Un dilemme clair se pose alors : se conformer pleinement aux dispositions du décret et éviter les sanctions administratives ou sauver des vies", estime SOS Méditerranée.
Plus de 76 000 euros d’amendes infligés aux ONG
Ainsi, depuis janvier 2023, "640 jours de détention ont été imposés aux navires des ONG", indique le rapport. Et plus de 76 000 euros d’amendes ont été infligés aux ONG de sauvetage en mer en seulement deux ans.
Les principales raisons de ces décisions administratives portent sur le "non-respect des instructions des gardes-côtes libyens" ou encore sur le fait d’avoir porté secours à plusieurs embarcations en détresse "sans se rendre rapidement au port assigné" par les autorités italiennes. (...)
Des mesures contraires au droit maritime international, déplorent depuis des années les ONG, qui rappellent que toute personne en difficulté en mer doit être secourue et déposer au plus vite au port sûr le plus proche – la Libye ne pouvant être considérée comme telle en raison des violations des droits à l’encontre des migrants, largement documentées par les médias, les associations ou les instances internationales.
Reste que le décret Piantedosi a eu des effets immédiats sur les opérations en mer (...)
"C’est un vrai gâchis, le Geo Barents est un immense navire, solide, qui peut faire face aux intempéries, qui peut rester longtemps en mer. Et nous ne pouvons pas utiliser ses performances", avait déclaré à InfoMigrants Margot Bernard, coordinatrice de projet pour MSF, qui affrète le Geo Barents.
Sept fois le tour du monde
Une autre disposition prise par le gouvernement italien complique encore davantage les activités des ONG en mer : l’attribution de ports italiens de plus en plus éloignés de la zone de recherche et de sauvetage (SAR zone). (...)
Depuis décembre 2022, les navires humanitaires "ont été contraints de naviguer inutilement pendant 735 jours vers et depuis des ports lointains, parcourant au total plus de 275 000 km depuis le lieu du sauvetage", signale SOS Méditerranée dans son rapport. Soit presque sept fois le tour du monde. Rien que pour l’Ocean Viking, cela représente à lui seul "171 jours de navigation inutile". (...)
Cet allongement de la durée en mer entraîne par ailleurs un coût supplémentaire pour les ONG. Sur deux ans, l’Ocean Viking a dû débourser 1,3 million d’euros de plus, quasiment exclusivement pour le carburant. (...)
Cela a également un impact "néfaste sur la santé physique et mentale" des naufragés, déjà traumatisés par une périlleuse traversée à bord d’un canot de fortune, signale SOS Méditerranée. D’autant plus quand certains passagers ont vu des proches périrent sous leurs yeux lors d’un naufrage.
Hausse de 28% des interceptions en mer
Cette politique menée depuis deux ans par le gouvernement italien, farouchement anti-migrants, a participé à "vider encore davantage la mer des navires de sauvetage", observe SOS Méditerranée dans son rapport. En effet, entre les immobilisations de bateaux et les longues distances à parcourir pour rejoindre un port, il peut se passer de longues semaines sans ONG dans la SAR zone.
Certains navires ont même jeté l’éponge. C’est le cas du Geo Barents de Médecins sans frontières, qui a mis fin à ses activités en Méditerranée centrale en décembre 2024, lassé des restrictions imposées par les autorités italiennes. (...)
Résultat : les interceptions en mer opérées par les forces libyennes ont augmenté de 28% en 2024, par rapport à l’année précédente. Ainsi, 21 762 personnes ont été arrêtées par les gardes-côtes libyens en Méditerranée l’an dernier, contre 17 025 en 2023, selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Depuis 2017, année de la signature d’un accord entre la Libye et l’Italie soutenue par Bruxelles, l’Europe confie aux autorités libyennes la charge de la coordination des sauvetages au large de leurs côtes, afin de stopper les traversées de la Méditerranée. (...)
Ce partenariat est largement dénoncé par les ONG ces dernières années. Non seulement parce que les interventions en mer peuvent être dramatiques : le 6 novembre 2017, près de 20 personnes, des hommes, des femmes et des enfants, s’étaient noyés en Méditerranée en raison de l’inaction des autorités libyennes et de leur amateurisme.
Mais aussi parce que les exilés ramenés contre leur gré en Libye se retrouvent généralement en prison où ils sont soumis à des traitements inhumains (tortures, passages à tabac, humiliations, viols, voire assassinats). Depuis des années, la rédaction d’InfoMigrants reçoit des messages de personnes retenues captives en Libye, et soumis à toute sorte de tortures. (...)