En réprimant les mobilisations étudiantes de soutien à la Palestine, l’exécutif, à un mois d’élections européennes périlleuses, tente de donner des gages à un électorat âgé, jugé allergique au désordre. Une dangereuse stratégie de court terme
Gabriel Attal aime les phrases courtes. Et percutantes. Déclamée à l’Assemblée nationale lors de sa déclaration de politique générale, le 30 janvier, sa formule « Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies. Tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter » fait aujourd’hui sa fierté. Si bien qu’il l’a répétée à Viry-Châtillon (Essonne), le 18 avril, puis retranscrite in extenso sur les réseaux sociaux, le 30 avril.
Les procès en simplisme et en infantilisation n’émeuvent guère le chef du gouvernement. Ce qui compte, c’est de se faire comprendre. Le 13 mars, alors que Sciences Po est secoué par les mobilisations propalestiniennes, il s’invite au conseil d’administration et lance : « Le poisson pourrit toujours par la tête. Ça ne peut pas rester sans réponse. » Les journalistes sont informé·es de la punchline sitôt la réunion terminée.
Pour le pouvoir, l’enjeu réside dans le « faire savoir » (...)
Au-delà des coups de menton de Gabriel Attal, les mobilisations étudiantes en soutien à la cause palestinienne ont donné à voir la dureté de la réponse gouvernementale. Interventions policières, évacuation systématique des blocages, interpellations : cette répression est théorisée et assumée par l’exécutif. « J’ai demandé l’intervention des forces de l’ordre sans hésiter, partout, dès que les mouvements prenaient place », a assumé Gabriel Attal lundi 6 mai, lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). (...)
Dans une tribune publiée fin avril, plusieurs organisations associatives, syndicales et politiques ont dénoncé « l’accumulation convergente de divers moyens de répression et d’intimidation contre des acteurs du débat public, en raison de leur positionnement sur les termes du conflit israélo-palestinien », constituant selon elles « une limitation inacceptable du pluralisme démocratique » et une façon de « bâillonner la démocratie ».
Les critiques venues de la gauche ont peu de chance de faire fléchir un gouvernement qui sait parfaitement ce qu’il fait. La pente autoritaire n’est pas nouvelle, en la matière. (...)
Réprimer les mobilisations, oui, mais pas n’importe lesquelles (...)
À l’inverse, les agriculteurs et agricultrices révolté·es contre l’État en janvier dernier n’ont rien reçu d’autre en retour que son indulgence. « Oui, ils souffrent et ils ont droit de le revendiquer, avait même affirmé le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. En tant que ministre de l’intérieur, à la demande du président de la République et du premier ministre, je les laisse faire. […] On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS. »
Vieux comme l’État, le différentiel de réponse de la puissance publique à l’égard des mouvements sociaux apparaît ici comme le nez au milieu de la figure. (...)
plus la catégorie mobilisée est pauvre, jeune ou racisée, plus elle a de chances de se heurter aux matraques des forces de l’ordre.
Ce qui se joue avec les manifestations propalestiniennes a quelque chose à voir avec ce qui s’était joué, à l’été 2023, dans les quartiers populaires (...)
À défaut d’être inédite, la répression de la mobilisation propalestinienne raconte une fois de plus combien est consommée la rupture entre le pouvoir et la jeunesse mobilisée. L’exécutif ne cherche même plus à faire semblant d’entendre, de comprendre ou de dialoguer avec ces jeunes femmes et jeunes hommes qui descendent dans la rue ou occupent leur université, les renvoyant régulièrement à leur « politisation », les accusant d’être instrumentalisé·es par l’opposition.
Élu sur l’apparat de la fraîcheur, Emmanuel Macron ne parle plus aux jeunes, il parle des jeunes. Son discours sur la jeunesse se résume désormais à sa mise au pas : le service national universel (SNU), l’uniforme et La Marseillaise à l’école, la limitation des écrans, la répression des mobilisations…
L’intérêt d’une telle manœuvre est avant tout électoral. Emmanuel Macron parle à celles et ceux qui votent encore pour lui : une France de centre-droit, plus âgée et plus bourgeoise que la moyenne (...)
Les yeux rivés sur les bandeaux de BFMTV et, de plus en plus, de CNews, les têtes de l’exécutif se pressent d’éteindre la moindre étincelle avant qu’elle ne soit diffusée en boucle sur les chaînes d’information en continu.
Gabriel Attal a compris mieux que quiconque ce nouveau jeu médiatique (...)
Vu du terrain, le manichéisme des positions gouvernementales et la brutalité de la répression sont autant d’insultes à l’intelligence, sinon d’entorses à la nuance.
À l’heure du déjeuner, un ministre se souvient de ses jeunes années face à une poignée de journalistes. « J’en ai fait plein, moi, des blocages, des manifs et des grèves !, souffle-t-il. Les jeunes se mobilisent, c’est comme ça. Il faut bien que jeunesse se passe ! La réponse qu’on apporte est vraiment excessive. Heureusement qu’ils ont une conscience politique, ces jeunes. Tant que c’est dans le respect, franchement... »
D’autres sont plus silencieux. (...)
Le risque est grand, pourtant, de tout perdre : la prochaine élection, d’abord, mais aussi et surtout le lien, même infime, avec la jeunesse mobilisée. Celle-là même à laquelle on reprochera de ne pas adhérer avec suffisamment de vigueur aux sacro-saintes valeurs de la République. Cette République qui est venue les chercher, matraque à la main, lorsqu’elle a tenté d’en faire entendre certains principes. (...)